À bien des égards, notre époque est celle de la libération de la parole. Arrive enfin à se dire et à s’assumer ce que les générations précédentes gardaient enfoui à l’intérieur dans la lourdeur du secret. Pourtant cette libération accompagne un mouvement plus général autour de la parole, divisant celle-ci entre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Les mots sont devenus lourds et dangereux. On ne rit plus impunément. Chaque détail se veut un signe d’allégeance, à une catégorie, à une idéologie, à un comportement. Il est d’usage, chez les militants par exemple, de lire une personne à l’aune de la première phrase qu’elle prononcera. Il y a quelque chose de glacé, de pétrifié dans la parole et dans les mots. D’où notre envie de présenter le texte qui va suivre, extrait de Variations scatologiques. Pour une poétique des entrailles de Bob O’Neill paru aux éditions La Musardine en 2005. Ce petit livre est un voyage dans l’obscène et dans l’impur, un dictionnaire contre la morale. Trouver les bons mots, les formules odorantes, les imaginaires délurés, abuser des mots, encore et encore, rencontrer avec les doigts, avec la langue et jusque dans les recoins du corps des plus improbables. Voilà l’antidote à la nouvelle police civilisationnelle que décrit Bob O’Neill : « L’humanité toute entière est victime des farces et facéties des illusions d’une « pureté libératrice ». Les racines de l’ethnocentrisme, de la xénophobie et du chauvinisme puisent leurs forces dans les craintes de devoir se salir au contact des déjections du corps des autres. Les idées d’épuration, de purification, de blanchiment, de moralisation, de confession, les conceptions immaculées, etc. s’adressent toujours au petit côté fécal et pétochard de notre personnalité. L’homme pue et a toujours été précédé et suivi de catastrophes miasmatiques et délétères. C’est pourquoi il est à ce point attiré par les purges. »
Profitons de ce plaisir de lâcher prise amenant un peu de légèreté et de chaleur, quelques nouveaux mots, et l’envie d’y plonger plus avant.
Merci aux éditions La Musardine de nous autoriser à reproduire le texte qui suit.
La pénétration anale
Et si la pénétration anale est vilipendée, décriée et condamnée par beaucoup, il n’en reste pas moins qu’elle est pratiquée très couramment dans la confidentialité. La foultitude de mots qui la désignent ne fait que souligner sa réalité occulte qui, à l’instar de son caractère clandestin, attire et séduit silencieusement les foules. La richesse argotique est un bon indice de l’importance des préoccupations anales et nous ne résistons pas ici, en nous inspirant très largement, entre autres ouvrages, du Dictionnaire érotique de Guiraud [1], à citer quelques expressions des plus croustillantes : alcibiadiser, aléser, aller chez le voisin, aimer le goudron ou la terre jaune, endosser, baiser à la riche, bichonner, biter, en cacher, casser coco, casser le dix/ le pot, chaldiciser, changer de religion, chevaucher à l’antique, communier sous les espèces, faire le con cocu, consommer son kabyle, courir à rebours, crever l’oeil, culer, culeter, divorcer avec la nature, dofer, s’égarer, embestialiser, empaffer, empaler, emmancher, empétarder, empouper, emproser, empapaouter, encaldosser, enclouer, enculer, endauffer, enfifrer, enfigner, enfiler, enfoirer, enganyméder, englander, enrouter, enquiller, s’envoyer, enviander, se faire casser le pot, se faire défoncer la pastèque (la motte), se faire dorer la feuille ou la lune, se faire endosser, se faire taper dans la lune, se farcir, fouiller, fourrer, fourailler, foutre, fricoter, se frotter le lard, fauconner, filer une pétée, florentiner, galipoter le fondement, gauler, gitonner, godailler, gomorrhiser, grimper, janculer, jouer du reversis, laconiser (vieilli et désuet), loyoliser, mahométiser, être de la manchette, mettre, mettre au petit, mettre le cul comme un champ de fraise, mettre à la voile par la voie sèche, miser, momiser, niquer, piner, planter, prendre par le manche du gigot, prendre du bronze/du chouette /par derrière / l’objet à rebours /de l’ogne /du dos / la bague /du dix/du rond/du tal /du talon, etc., être de la procession, queuter, repousser les crottes, retourner la médaille, saccader en cul, sauter, socratiser, sodomiser, tirer, tourner le feuillet / la page, travailler du cul /de l’étui ou de la vigne, tringler, se tromper d’endroit / de porte, trouducuter, trousser etc. Cent vingt façons de dire et nous sommes loin de tout dire. Une chose est sûre. Si on désire passer à l’acte, ce ne sont jamais les mots qui manquent pour le faire et le faire savoir.
Et je vous ferai grâce de la richesse « anusologique » pétulante et claironnante de San-Antonio si ce n’est au passage pour vous évoquer la tringluche arrière de l’entrée des fourbisseurs en bilboquant le fouinosoff, caramélisant la pastille, cognant dans la lune en l’encaustiquant tout en embroquant à la Peyrefitte pour poignarder le fouissard et enfourner le pot d’échappement...
Dans Le Guide pratique de la vie du couple [2]des Docteurs David Elia et Jacques Waynberg, nous trouvons une information très complète et précise sur la morphologie anatomique et la pratique de la sodomie à laquelle nous emprunterons ces extraits : « L’anus est, sexuellement parlant, beaucoup plus qu’un simple “orifice”, nous disent-ils, c’est tout un appareil comprenant :
A. un tube cutané de 3 à 4 cm de long, ceinturé par 4 cercles de muscles très hermétiquement contractés. Une extrémité de ce tube débouche à l’extérieur en constituant l’orifice anal proprement dit, dont les berges, plissées, irrégulières, plus oumoins velues, dessinent des reliefs très différents les uns des autres. L’extrémité interne du canal fait la jonction avec la muqueuse du rectum.
B. le rectum, ultime segment du tube digestif est comparé à une “ampoule” tant ses parois sont amples et élastiques. Fait essentiel, cette ampoule rectale est “sanglée” en son milieu par des muscles extrêmement puissants (muscles releveurs de
l’anus) qui la plie en deux. Autrement dit le rectum est pour moitié à angle droit de l’axe du canal anal.
C. le canal et la zone cutanée externe qui l’entoure sont très richement innervés, qui plus est par des filets nerveux issus des mêmes troncs que ceux qui irriguent les organes génitaux. Le rectum à l’inverse – tout comme la muqueuse
vaginale- est pratiquement insensible. »
Lorsque nous parlions du périnée et du muscle pubo-coccigien, nous avons évoqué l’importance que prennent ces zones érogènes imbriquées. Le Docteur Gérard Zwang, dans son ouvrage Le Sexe de la femme [3], décrivant les muscles périnéaux, précise que, vu sa fonction, le muscle releveur de l’anus « pourrait à juste titre se nommer constricteur du vagin : c’est sa corde épaisse qui se contracte quand la femme serre les fesses. », Et plus loin il poursuit et insiste : « La commande des muscles pelvi-périnéaux est double : volontaire et réflexe. Mais seuls, le releveur de l’anus, le sphincter anal et, pour certaines douées, le constricteur de la vulve sont accessibles à la volonté. De toute façon, la contraction de ces muscles est synergique, si bien que la femme peut mettre volontairement en jeu les muscles de son sexe “en serrant les fesses” ; c’est un exemple caractéristique de la dépendance des organes périnéaux. »
Mais ce qu’il reste aussi à souligner c’est les différences anatomiques entre l’homme et la femme qui permettent aux deux parties, selon leur sexe respectif, l’accomplissement d’expériences sodomiques uniques et incomparables.
« Si la constitution de l’appareil anal est identique pour les deux sexes, lit-on dans Le Guide Pratique de la Vie du Couple, il faut noter une différence fondamentale du point de vue sexuel, qui tient chez l’homme au voisinage de la prostate,
adossée à la paroi antérieure du rectum, à quelques centimètres de l’orifice interne du canal anal. Chez la femme, le rectum est en rapport avec la face postérieure du vagin, et seulement tout en haut du col de l’utérus. »
On peut alors aisément comprendre que, dans ces conditions, la pénétration anale n’entraînera jamais, dans deux morphologies hétérogènes, le même type d’émotion érotique. Les expériences sodomiques masculines et féminines sont donc à tout jamais irréductibles et intransmissibles.
De plus, selon Sade, « le libertin trouve avec un jeune homme deux plaisirs, celui d’être à la fois amant et maîtresse, alors qu’une fille ne lui permet qu’une jouissance, [...] on distingue deux types de sodomie : la sodomie imparfaite (quand elle s’effectue avec une fille dans le “vase illégitime”)
et la sodomie parfaite (avec un garçon) » [4] .
Bob O’Neill
Extrait de Variations scatologiques. Pour une poétique des antrailles (La Musardine).
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