TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Reconsidérer la politique sexuelle du fascisme

L’idéologie fasciste mène une guerre sexuelle. Cela n’aura échappé à personne, les femmes se mobilisent de plus en plus en faveur d’une politique d’extrême-droite (en France, on peut citer non seulement Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen et Thaïs D’Escufon, mais aussi les "mères inquiètes" qui militent dans le collectif "Parents Vigilants"). Aux États-Unis, même son de cloche dans les rangs trumpistes. Dans cet article, la chercheuse Robyn Marasco montre que de nouvelles politiques antiféministes incarnées par des femmes s’affirment dans les médias, dans les manifestations, dans les colloques, et participent plus largement à un processus de fascisation. Selon elle, il y a deux choses qu’il faut considérer : ce que la droite dit des femmes et ce que la droite dit aux femmes. En suivant ce fil, nous pourrions commencer à comprendre comment l’extrême-droite s’est adaptée aux changements des structures sociales, et comment mieux la combattre sur ce terrain.

Robyn Marasco est professeure agrégée de sciences politiques au Hunter College et au Graduate Center de la City University of New York, autrice de The Highway of Despair : Critical Theory after Hegel (Columbia, 2015).
Article paru initialement sur le site Historical Materialism en juin 2021.


1.

Deux femmes ont été tuées lors des émeutes au Capitole, mais seule l’une d’entre elles, Ashli Babbitt, est devenue une martyre du mouvement. L’autre femme, Roseanne Boyland, piétinée par une foule de partisans de Trump peu après son arrivée au Capitole, est apparue dans une vidéo brandissant un drapeau Gadsen (« Don’t Tread on Me [1] »). L’ironie tragique de la mort de M. Boyland est devenue un meme comique à gauche. Mais à droite, c’est Ashli Babbitt dont on se souvient et que l’on commémore. Aujourd’hui, son nom est associé à tous les meurtres de personnes noir.es perpétrés par la police. #Sayhername, le hashtag utilisé pour donner de la visibilité aux schémas de violence policière contre les femmes noires, a été rapidement approprié pour masquer cette violence. [2] Ashli Babbitt est devenue pour la droite la contre-image de Sandra Bland et de Breonna Taylor, la preuve que seules certaines vies comptent pour la gauche et que certaines femmes sont prêtes à tout sacrifier pour leur pays.

Des images vidéo, prises quelques instants avant sa mort, montrent cette vétérane de l’armée de l’air âgée de 35 ans prenant d’assaut le Capitole des États-Unis avec un drapeau américain entourant ses épaules comme une cape, puis hissée à travers une porte en verre brisée pour entrer dans le bâtiment, et enfin abattue d’une balle dans la nuque par un policier en civil avant de s’effondrer sur le sol. Lorsqu’elle fut abattue, Babbitt n’était pas armée ; mais de nombreuses personnes dans la foule qui l’entourait portaient des armes et, juste derrière la vitre brisée, plusieurs membres de la Chambre des représentants des États-Unis étaient en train de prendre la fuite. Deux semaines plus tard, la droite a organisé une ’marche du million de martyrs’ pour commémorer Babbitt. L’affiche, entièrement noire, comporte en son centre l’illustration d’une femme en blanc, devant le dôme du Capitole, une larme de sang rouge au cou, auréolée de quatre étoiles blanches. L’émeute du 6 janvier a généré toute une série d’images qui seront utilisées par la droite comme des outils de recrutement dans les années à venir. Mais Ashli Babbitt, sous les traits de la Lady Liberty, se distingue par son esthétique ’féminine’.

Le martyre d’Ashli Babbitt soulève deux questions distinctes mais liées – ce que la droite dit des femmes et ce qu’elle dit aux femmes – dont les réponses nous renseigneront sur ses modalités d’adaptation aux changements de la structure sociale et sur sa manière d’alimenter des formes contradictoires de réaction politique. Écrivant dans les années 1970 sur le fascisme et la féminité, la marxiste-féministe Maria Antonietta Macciocchi a noté l’étrange silence sur ces questions, comme si nous pouvions comprendre le fascisme sans comprendre également comment il parle aux femmes et des femmes. [3] Pour Macciocchi, une théorie critique du fascisme devait commencer par la forme distinctive d’« antiféminisme féminin » qui est engendrée par la suprématie masculine. [4] Elle a confronté l’ancienne gauche à son incapacité à prendre le sexe au sérieux en tant que lieu de domination et de lutte. Dès lors, elle a insisté pour que la théorie et la pratique antifascistes deviennent une théorie et une pratique féministes, c’est-à-dire qu’elles comprennent et combattent la politique sexuelle de la droite, ainsi que les tendances fascistes de la gauche.

Macciocchi a trouvé les ressources pour cette théorie féministe du fascisme dans le marxisme, en particulier celui d’Antonio Gramsci, ainsi que dans la tradition psychanalytique, plutôt de Wilhelm Reich. La Donna ’Nera’ : Consenso Femminile e fascismo, publié en 1976, est remarquable en ce qu’il est un des rares textes dans la longue histoire du freudo-marxisme à être animé par des objectifs et un programme féministes. Pour Macciocchi, la psychanalyse fournit l’explication de l’adhésion des femmes au fascisme, qu’elle considère comme une forme de masochisme féminin et d’irrationalisme de masse. Quelles que soient les limites de cet argument, Macciocchi a posé une question primordiale sur la politique en tant que question pour et sur les femmes : pourquoi les femmes luttent-elles pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? Comment les femmes en viennent-elles à désirer leur propre domination et même à la défendre jusqu’à la mort ? Comment la féminité elle-même se construit-elle autour de cette curieuse pulsion de mort ?

Quelques années plus tard, en 1979, la féministe radicale Andrea Dworkin publiait « The Promise of the Ultra-Right », qui allait devenir le premier chapitre de Right-Wing Women : The Politics of Domesticated Females, qui entend montrer comment le « conservatisme de mouvement » (movement conservatism [5]) aux États-Unis est parvenu à mobiliser les femmes en tant que femmes au nom de la suprématie masculine. [6] Bien qu’elle ne soit ni marxiste ni freudienne, et que son livre se distingue par l’absence de référence à ces traditions bien établies, Dworkin fait écho à Macciocchi en soulignant le rôle des femmes dans la mobilisation de l’extrême droite. Elle s’est concentrée spécifiquement sur le cas américain, sans aucun doute différent des mouvements en Italie et en Amérique latine qu’a étudiés Macciocchi. [7] Elle a ainsi considéré le soutien des femmes blanches à l’extrême droite comme un calcul essentiellement rationnel, tout à fait à l’opposé des idées de Macciocchi sur l’instinct et l’irrationalisme. Toutefois, Dworkin insiste elle aussi sur le fait que la politique sexuelle de la droite est la clé de son succès. Elle souligne le pouvoir de femmes comme Anita Bryant, Ruth Carter Stapleton et surtout Phyllis Schlafly [8], qui ont mobilisé le soutien des femmes en faveur de leur propre soumission et de leur statut de seconde classe – préférable, somme toute, à l’absence de statut. Comme Macciocchi, Dworkin s’en prend au culte de la féminité qui vient loger la suprématie masculine dans le cœur des femmes conservatrices, tout comme dans celui des hommes. Elle considère également l’ « antiféminisme féminin » comme une force politique puissante, trop souvent négligée et méconnue. Les deux penseuses analysent l’institution et l’idéologie de la famille patriarcale comme un terreau fertile pour le fascisme.

La conjoncture contemporaine jette une lumière nouvelle sur ces textes anciens et sur l’image de « l’antiféminisme féminin » qui s’en dégage. Je commence par Ashli Babbitt précisément parce qu’elle n’était pas la femme au foyer typique de la mailing list d’Eagle Forum (lobby conservateur défendant une politique familiale traditionnelle, NdT). Elle n’était pas non plus la Madone en deuil que Macciocchi voyait à la racine des mouvements fascistes. En ce sens, elle n’incarne ni la féminité traditionnelle ni la féminité mythique. En fait, Ashli était plutôt du genre à faire partie des mecs. Ancienne combattante des guerres d’Irak et d’Afghanistan, Ashli Babbitt a servi pendant 14 ans dans l’armée de l’air des États-Unis, quatre en service actif, deux en tant que réserviste et six autres dans la garde nationale. Elle a pris sa retraite de l’armée dans les rangs inférieurs du commandement, avec quelques médailles pour son service, mais avant de pouvoir prétendre à une pension complète. Sur les photos qui ont circulé après sa mort, elle incarne la sexualité du tomboy, tanné par le soleil, d’une société (et d’une armée) sexuellement intégrée : queue de cheval, casquette rouge MAGA (« Make America Great Again », NdT), débardeurs, treillis, lunettes de soleil, short en jeans, drapeaux américains, muscles bandés. Ashli était divorcée et remariée, sans enfant, vivant avec son second mari et sa petite amie dans ce que les tabloïds qualifient de « couple à trois », mais qui n’était, en tout cas, pas tout à fait conventionnel. Son compte Twitter indique qu’elle a voté pour Barack Obama, mais c’est sa haine à l’encontre Hillary Clinton qui l’aurait « radicalisée ». Elle a trouvé d’autres cibles en Nancy Pelosi, Maxine Waters et Kamala Harris. C’est une nouvelle forme d’ « antiféminisme féminin » qui s’est emparée de Babbitt, un concentré de réactions à l’encontre les femmes leaders du Parti démocrate. Lorsqu’elle est partie manifester au Capitole, elle était propriétaire d’un magasin de matériels de piscine en faillite dans la banlieue de San Diego, et criblée de dettes. L’affiche apposée sur la porte de son magasin déclarait qu’il s’agissait d’une « zone autonome sans masque » en signe de protestation contre les restrictions imposées par l’État à l’égard du Covid-19. Plus bas, on pouvait lire : « On se serre la main comme des gars ».

Si l’ « ultra-droite » (terme de Dworkin) avait autrefois promis aux femmes blanches la sécurité et la sûreté de la domesticité patriarcale, elle leur offre aujourd’hui autre chose, quelque chose de plus immédiatement transgressif, de plus sensible aux pulsions destructrices et aux forces antisociales, et de plus proche de l’égalité qu’elle rejette et de la liberté à laquelle elle renonce. Elle offre aux femmes blanches un récit de leur malheur et une arène affective pour exprimer leur rage. [9] Schlafly et d’autres « conservateurs du mouvement » ont autrefois vanté « le pouvoir de la femme positive », mais la droite comprend aujourd’hui le pouvoir et la puissance du négatif. Elle se délecte de la colère des femmes blanches et nourrit leur ressentiment. Elle encourage leur agressivité. Et c’est , à mon avis, que réside au moins une partie de son attrait. Il ne s’agit pas simplement de protéger ses intérêts (en tant que femmes blanches, petites-bourgeoises, femmes ayant la citoyenneté américaine), ni même de désirer sa propre domination, mais d’accéder aux plaisirs de l’affect et de l’action « masculins ». Il s’agit d’un privilège réservé à certaines femmes, ce qui est en partie le but recherché. Il s’agit d’une forme d’ « antiféminisme féminin » qui reflète le féminisme néolibéral auquel il s’oppose, une autre version dégradée du « tout avoir », où, au lieu de la carrière professionnelle et de la famille reproductive hétérosexuelle, les femmes peuvent avoir un entraînement au combat, des AR 15 (fusil semi-automatique, NdT), une sexualité polyamoureuse, le conspirationnisme et, par-dessus tout, un semblant de pouvoir qui se substitue au pouvoir réel. Certaines femmes veulent un siège à la table du conseil d’administration. D’autres veulent être dans l’œil du cyclone.

Ocean Beach, le quartier « bohème » où Babbitt a élu domicile, se trouve à environ 60 kilomètres de Camp Pendleton, l’une des plus grandes bases du corps des Marines aux États-Unis. L’armée, la plage et la frontière sont les institutions les plus puissantes de San Diego et donnent à la région sa culture politique particulière. Depuis plusieurs décennies, l’extrême droite a adopté une stratégie délibérée pour infiltrer l’armée américaine. Et la Californie du Sud est depuis longtemps un foyer de suprémacistes blancs et de skinheads. Mais il ne semble pas que Babbitt ait fait partie de ce milieu, ni même qu’elle ait été radicalisée pendant son service dans l’armée de l’air. Il est plus probable qu’elle ait été formée, comme des millions d’autres, dans les rangs inférieurs de l’appareil de sécurité américain, façonnée par la politique locale d’une frontière nationale située à seulement 40 kilomètres de chez elle, et tournée vers l’extrême droite par ’bon sens’ et sa communauté. Les femmes représentent environ 15 % de l’armée américaine, où elles sont soumises à des niveaux choquants de harcèlement et d’agression sexuels. C’est également là que les femmes apprennent à « serrer la main comme des gars » et participent aux rituels de violence sexiste auxquels elles sont régulièrement soumises.

Le portrait du masochisme féminin dressé par Macciocchi ne peut rendre compte de la complexité d’une Ashli Babbitt. Et la représentation de Dworkin des femmes de droite ne saisit rien de l’irrationalisme, pour lequel la psychanalyse reste notre meilleur vocabulaire théorique disponible. Néanmoins, ces deux penseuses sont très attentives à ce que Horkheimer et Adorno décrivent comme le « fascisme potentiel » latent de nos institutions existantes, ainsi qu’aux processus de fascisation, pour utiliser la terminologie très utile d’Ugo Palheta, qui exploitent ce potentiel. [10] Du moins, toutes deux considèrent que le sexe est un instrument clé de la fascisation.

Palheta définit la fascisation comme une « période historique entière », soit comme un processus qui prépare une population au fascisme. [11] Il identifie « deux vecteurs principaux » de la fascisation : « le durcissement autoritaire de l’État et la montée du racisme ». [12] Je pense qu’il vaut la peine de réfléchir à ce durcissement autoritaire de l’État en relation avec le durcissement de la personnalité qu’implique l’idée reichienne d’une « cuirasse caractérielle ». Mais, plus fondamentalement encore, peut-on parler de fascisation sans parler de sexe ? Serons-nous en mesure de comprendre le fascisme actuel et ses liens avec les fascismes passés ? Comprendrons-nous comment la misogynie en ligne devient une drogue introductive à l’extrême droite, comment le monde des militants des droits des hommes, des spécialistes de la séduction, des trolls MGTOW et des « célibataires involontaires » (incels, NdT) se superpose à celui des suprémacistes blancs, des miliciens et des garçons fiers, ou même comment un épisode relativement mineur comme le #gamergate pourrait être décrit de manière plausible comme l’un des événements qui inaugurent l’ère Trump ? Reconnaîtrons-nous dans le mythe du « Grand Remplacement » une tentative de contrôle de la sexualité des femmes, ainsi qu’une panique raciste et culturaliste ? Plus encore, sans voir le sexe comme un instrument de fascisation, pouvons-nous comprendre les antivax, les mères de yoga et les gourous du bien-être qui font partie de la résurgence de la nouvelle droite, comment la conspiration Q-anon mobilise les craintes des femmes pour leurs enfants ? Pouvons-nous comprendre comment la politique de #MeToo - qui positionne certaines comme des victimes d’avances sexuelles non désirées du patron, d’autres comme la femme du patron, et d’autres encore comme des mères qui espèrent que leurs jeunes fils deviendront des patrons - façonne le moment présent ? Pouvons-nous expliquer comment un mouvement relativement marginal, comme #tradlife, s’inscrit dans le projet politique plus large de l’antiféminisme de droite ? Pouvons-nous entendre ses échos plus doux parmi les ’fash-curieux’ et la gauche trad-socialiste ? Pouvons-nous comprendre une situation politique dans laquelle les féministes radicales trans-exclusives (TERF) sont aux ordres des fondamentalistes religieux et des nationalistes culturels ? Comprendrons-nous pourquoi la libération trans n’est pas seulement un projet féministe mais aussi antifasciste ?

Ce que Macciocchi et Dworkin considéraient comme une nouveauté dans les mouvements réactionnaires qu’elles observaient, à savoir la mobilisation de « l’antiféminisme féminin » pour défendre la domination masculine, pourrait plutôt apparaître comme une stratégie continue et évolutive de la droite. Il est frappant de constater que ni Macciocchi ni Dworkin ne reçoivent beaucoup d’attention dans les débats sur le fascisme aujourd’hui, en particulier lorsqu’il apparaît que tous les grands penseurs du vingtième siècle ont été relus pour avoir prédit ces développements. C’est comme si la gauche ne savait toujours pas comment parler des femmes et de la droite, ce qui implique qu’elle ne sait pas comment lutter pour la libération que le féminisme exige.

2.

Il n’est pas évident que Macciocchi et Dworkin participent de la même analyse. Elles ont écrit dans des contextes nationaux et historiques différents, ont défendu des idées très éloignées sur l’histoire et la société, ont mené des politiques féministes divergentes et ont combattu des mouvements réactionnaires spécifiques. Elles ont également adopté des positions antagonistes quant à la compatibilité ultime du marxisme et du féminisme et à l’utilisation de la psychanalyse dans les politiques féministes. Macciocchi est née l’année où Mussolini s’est emparé du pouvoir, de parents antifascistes vivant dans la région du Latium. Elle deviendra une journaliste reconnue et une femme politique élue, bien que sa première théorie critique du fascisme, conjuguant des arguments marxistes, féministes et psychanalytiques, soit méconnue et en grande partie ignorée. Membre du Parti communiste italien (PCI) et adepte de Gramsci, elle a présenté ses idées au public français à Paris et à Alger et les a défendues contre les critiques, notamment celles de Louis Althusser. Sa correspondance avec Althusser à la fin des années 1960 a conduit à une rupture importante avec le PCI. [13] Dans les années 1970, elle a été exclue du parti pour son soutien au maoïsme et à la révolution culturelle. Plus tard dans sa vie, après une rencontre avec le pape Jean-Paul II, elle s’est repositionnée vers l’Église et ses enseignements.

Bien que cette « conversion » tardive soit d’une certaine manière surprenante, il est également vrai que Macciocchi a toujours considéré l’Église et la religion comme étant au centre de la vie politique italienne. Dans La Donna ’Nera’, elle affirmait déjà que le mythe catholique de la sexualité féminine - la mère vierge comme contre-image de la putain pitoyable - constituait la base idéologico-psychologique du fascisme. Mussolini s’est engagé sur un terrain politique déjà défini et façonné de manière significative par des institutions et des idéologies conservatrices. Et il a engagé des femmes sur ce terrain, des femmes qui avaient perdu leurs fils et leurs frères à la guerre et qui voulaient une politique qui valorise et vénère la mort. Selon Macciocchi, une ’féminité martyre, funeste et nécrophile’ est à la base du fascisme. [14] Bien qu’elle s’égare parfois dans une vision simpliste des femmes comme étant ’instinctivement’ soumises et enclines à l’irrationnel, une grande partie de son analyse se concentre sur ce que les critiques contemporains ont appelé le ’culte de la mort’ du fascisme et sur la manière dont les femmes revêtent la ’cuirasse caractérielle’ du fascisme. Elle a repris cette dernière idée de Wilhelm Reich, qui a traité la montée du fascisme comme une pathologie de la répression sexuelle, de l’inhibition et de l’anxiété. [15] Comme d’autres dans la tradition freudo-marxiste, Macciocchi a vu le fascisme comme une sorte d’irrationalisme de masse, affligeant les femmes de manière distincte. Elle a trouvé dans la psychanalyse les outils permettant d’expliquer comment un projet agressivement masculiniste obtient son soutien le plus assuré de femmes, y compris de celles qui en seraient les victimes.

Le principal argument de Macciocchi est que l’analyse marxiste doit être quelque peu élargie pour tenir compte de la politique sexuelle du fascisme. Elle insiste sur le fait que les femmes travailleuses ont connu une situation misérable sous le régime de Mussolini. Les salaires des femmes ont chuté jusqu’à 50 %. Les femmes ont été licenciées, en particulier dans les professions libérales, et il leur a été interdit d’exercer la médecine. Elles n’ont plus pu enseigner dans certains établissements ni étudier certaines matières. L’autonomie et l’action des femmes en matière de procréation ont été sévèrement restreintes. Elles sont même dépouillées de leur or, par exemple le 18 décembre 1935, lorsque Mussolini déclare le Jour de la foi et demande aux femmes italiennes de donner leur alliance à l’État. C’était juste un mois après que la Société des Nations a imposé des sanctions à l’Italie pour l’invasion de l’Éthiopie – et le régime avait désespérément besoin d’argent et d’une démonstration de soutien. Rien qu’à Rome, les fascistes ont collecté des centaines de milliers d’alliances. À Milan, ils en ont collecté presque autant. Même à New York, Philadelphie et Chicago, des milliers de femmes ont envoyé de l’or au Duce. On estime que le gouvernement italien a reçu jusqu’à 100 millions de dollars en or de la part de femmes du monde entier. En retour, les femmes recevaient de petits anneaux de fer à porter à la place de leurs alliances, parfois gravés de la signature de Mussolini. Ils étaient utilisés lors des cérémonies de remariage, pour sceller le second mariage d’une femme avec l’État, considéré par Macciocchi comme un ’mariage mystique sous le signe de la Mort (guerre) et de la Naissance (berceaux)’. [16] Les conditions matérielles des femmes se sont dégradées sous le fascisme, mais leur attachement au régime en est resté indéfectible. Il flottait sur le quotidien l’ombre de la mort. Mussolini parle de ’cercueils et de berceaux’ et exalte les femmes en tant qu’éternelles gardiennes de la vie et de la mort. La psychanalyse pourrait rendre compte des éléments du mythe fasciste qui excitent nos pulsions psychologiques les plus profondes.

Même la psychanalyse a dû être réexaminée pour rendre compte du mythe de la sexualité féminine au centre de l’inconscient fasciste. Pour Macciocchi, la rencontre et les noces de la vie et de la mort dans l’inconscient fasciste étaient solidement modelées par les institutions concrètes de l’Église et de la famille. Le fascisme n’était pas une rupture avec la tradition, mais au contraire sa vénération creuse et son activation instrumentale. ’La peste ’émotionnelle’ du fascisme se propage à travers une épidémie de familialisme’ qui exige des femmes qu’elles se soumettent ’à celui qui tient le fouet’. [17] Le fascisme est une conquête spécifique de la rue, mais il est né dans le dispositif familial. Malgré ses divergences avec Althusser (’un professeur, depuis sa chaise parisienne’), Macciocchi reprend également ses concepts les plus remarquables, lorsqu’elle écrit : "Les idées qui dominent les piliers de l’appareil idéologique d’État, grâce aux forces conjointes du capitalisme et du fascisme, s’articulent autour du familialisme, de l’antiféminisme, du patriarcat". [18] Ces idées sont les ’pratiques rituelles’ par lesquelles les femmes ’acceptent volontairement les ’attributs royaux de la féminité et de la maternité’. [19] Elles sont renforcées, par exemple, par ’les quatre encycliques papales qui ont été promulguées contre les femmes et leur travail, dans le but de n’exiger d’elles rien d’autre que la procréation et, par conséquent, de leur interdire le divorce, la pilule contraceptive, l’avortement, etc.’ [20] Le fait est que les institutions et leurs idéologies construisent la ’cuirasse caractérielle’ de la féminité dont dépend le fascisme. L’idée de Reich de ’cuirasse de caractère’ était elle-même une reconstruction freudienne de l’idée marxiste de Charaktermaske et faisait référence aux couches endurcies de la subjectivité qui se forment pour se défendre contre la douleur et le déplaisir, qui sont endémiques au patriarcat capitaliste. [21] Le fascisme s’adressait aux femmes par le biais de la ’cuirasse caractérielle’ de la féminité. Il leur a permis de confondre cette cuirasse avec le pouvoir.

Andrea Dworkin n’était pas marxiste et ne pensait pas que le féminisme pouvait être se nouer au marxisme. Macciocchi avait critiqué une ’ultra-gauche infantile’ qui croyait que la révolution ouvrière résoudrait le problème de l’oppression sexuelle. Elle mettait en cause la gauche non seulement pour l’accent qu’elle mettait sur la production au détriment de la reproduction, mais aussi pour un fascisme à rebours qui cherchait à purifier de la politique les luttes pour la reproduction. Toutefois, Macciocchi croyait au mariage heureux du marxisme et du féminisme. Dworkin, elle, est l’enfant de leur divorce. Une partie de la polémique dans Right-Wing Women est que c’est malheureusement la droite – et non la gauche – qui a pris au sérieux les préoccupations des femmes, même si seules les femmes chrétiennes blanches, de classe moyenne et hétérosexuelles étaient incluses dans cette catégorie et que ce qu’elle offrait était la fausse ’sécurité’ du ménage et une place subordonnée au sein de celui-ci. [22] La psychanalyse ne lui apportait pas grand-chose non plus. Son sujet normatif était masculin et son lieu de formation, la famille patriarcale. Plus important encore, pour Dworkin, les conflits sexuels qui produisent les personnalités des hommes et des femmes ne sont pas si profonds, comme le suggère l’idée freudienne de l’inconscient. Tout ce sexe et toute cette mort sont simplement de surface.

Comme Macciocchi, Dworkin considère les institutions et idéologies religieuses conservatrices comme un point de contact essentiel entre le conservatisme traditionnel et l’extrême droite active. Elle a dressé le profil de femmes conservatrices de confession baptiste du Sud et catholique, montrant comment chacune d’entre elles cherchait à convaincre les femmes du prix qu’elles devaient payer pour les bénéfices de la protection masculine. Certaines de ces femmes croyaient profondément à la suprématie masculine. D’autres étaient plus stratégiques dans leurs conseils. Aucune ne l’était plus que Schlafly elle-même, ’possédée par Machiavel et non par Jésus’ et singulière parmi les femmes de droite pour sa ruse et sa force. [23] Voici ce qu’écrit Dworkin sur Schlafly, et qui mérite d’être cité en long et en large :

« Contrairement à la plupart des autres femmes de droite, Schlafly, dans ses écrits et ses discours, reconnaît n’avoir connu aucune des difficultés qui déchirent les femmes. De l’avis de beaucoup, son caractère impitoyable en tant qu’organisatrice est le mieux démontré par sa propagande démagogique contre l’amendement sur l’égalité des droits, bien qu’elle s’exprime également avec éloquence contre la liberté de procréation, le mouvement des femmes, le grand gouvernement et le traité du canal de Panama. Ses racines, et peut-être son cœur tel qu’il est, sont dans l’ancienne droite, mais elle est restée inconnue du grand public jusqu’à ce qu’elle parte en croisade contre l’amendement sur l’égalité des droits. Il est probable que son ambition soit d’utiliser les femmes comme électorat pour accéder à l’échelon supérieur du leadership masculin de la droite. Il se peut qu’elle découvre qu’elle est une femme (au sens où les féministes entendent ce terme), car ses collègues masculins refusent de la laisser sortir du ghetto des questions féminines et pénétrer dans la cour des grands. En tout cas, elle semble pouvoir manipuler les peurs des femmes sans les éprouver. Si tel est le cas, ce talent lui conférerait un détachement inestimable et froid en tant que stratège déterminée à convertir les femmes en militantes antiféministes. C’est précisément parce que les femmes ont été formées à respecter et à suivre ceux qui les utilisent que Schlafly inspire crainte et dévotion aux femmes qui ont peur d’être privées de la structure, de l’abri, de la sécurité, des règles et de l’amour que la droite promet et dont elles croient que leur survie dépend. » [24]

Schlafly est ici dépeinte comme une chuchoteuse à l’intention des ’femmes domestiquées’ (terme repris par Dworkin). Elle est capable d’utiliser les peurs des femmes précisément parce que les femmes domestiquées sont préparées à suivre ceux qui les exploitent. Ce qu’elle offre aux femmes, c’est la promesse d’un monde dans lequel elles restent en sécurité et protégées. Cette promesse repose sur l’idée ’machiavélique’ qu’il s’agit d’un ’monde d’hommes’ et qu’il incombe aux femmes de s’y faire une place. Pour Dworkin, cette promesse constituait l’aveu indirect d’un monde qui est une zone de guerre hostile pour les femmes. Ce que Macciocchi appelait la ’cuirasse caractérielle’ de la féminité, Dworkin le voyait comme l’instinct de survie. Il n’y a rien d’irrationnel là-dedans.

Dworkin, elle aussi, est un personnage complexe. Sa croisade contre la pornographie apparaît aujourd’hui comme un désastre total pour le mouvement féministe et sans doute comme sa défaite politique la plus conséquente de ces 50 dernières années. Ses écrits ont été critiqués à juste titre pour avoir négligé les pouvoirs et les privilèges qui confèrent aux femmes blanches un rôle important dans la suprématie blanche. S’il est vrai qu’elle ne traite pas du rôle des femmes blanches dans la suprématie blanche, elle souligne également dans Right-wing Women le rôle important qu’en viennent à jouer certaines femmes dans la suprématie masculine. Elle reconnaît que ’l’antiféminisme féminin’ se forme dans l’opposition aux intérêts des femmes noires, des lesbiennes, des transgenres, des femmes pauvres, de toutes sortes de femmes qui ne peuvent accéder aux garanties de la famille patriarcale. Pour Dworkin, la question n’est pas de savoir pourquoi certaines femmes se battent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut. La question est de savoir si le féminisme a quelque chose à offrir aux femmes au-delà d’un accord négocié avec la suprématie masculine.

Ensemble, Macciocchi et Dworkin remettent le sexe au centre de nos débats actuels sur le fascisme et la droite. De par sa propre représentation, le fascisme prétend être l’alternative véritable à la gauche et à la droite, le projet ’post-idéologique’ visant à restaurer l’unité et la grandeur de la nation. La vérité, et c’est bien ce que Macciocchi et Dworkin voient avec clarté, c’est que l’extrême droite utilise les institutions conservatrices (l’église, l’armée, la famille) et affirme les valeurs bourgeoises (’survie du plus fort’) pour promouvoir un programme autoritaire. En outre, les deux femmes considèrent le sexe comme un vecteur essentiel de fascisation.

La fascisation se traduit non seulement par le succès électoral des partis de droite, mais aussi par la normalisation de la violence extraordinaire et de la cruauté au quotidien, l’augmentation spectaculaire des inégalités économiques, la désublimation répressive du ressentiment et de la rage collectifs, l’assaut contre la démocratie participative à tous les niveaux et le renforcement d’un régime racial de terreur d’État. Aux États-Unis, en particulier, la fascisation se reflète dans la combinaison mortelle de la guerre impérialiste et de l’agitation nationaliste, dans le rôle décisif des institutions antidémocratiques (le collège électoral, l’obstruction parlementaire, les tribunaux, le Sénat américain lui-même) dans la détermination des détenteurs du pouvoir, dans l’influence politique démesurée du nationalisme chrétien et de l’orthodoxie catholique, dans les pouvoirs discrétionnaires étendus, accordés à des forces de police hautement militarisées, dans le pouvoir non réglementé des entreprises de médias sociaux qui tirent profit de la vente de nos ’données’ et de la diffusion de fausses informations, dans la mobilisation d’un mouvement de milice extraparlementaire, régulièrement dans les fusillades de masse dans les écoles, les lieux de culte, les boîtes de nuit, les cafés, les salles de presse, les studios de yoga et les centres commerciaux. Les États-Unis ont été un foyer de violence armée et de terreur policière tout au long de leur histoire, mais ce sont aujourd’hui les traits caractéristiques de la culture américaine. Premier marchand d’armes de la planète, avec près de 40 % du marché mondial, le gouvernement et l’économie des États-Unis sont alimentés par la violence qu’ils exportent dans le monde entier. Il ne s’agit pas de développements ’post-idéologiques’, mais plutôt de l’escalade et de l’intensification d’un projet idéologique de longue haleine. Ce projet est façonné par la perte réelle et présumée du pouvoir, ce que Wendy Brown a décrit comme un suprémacisme masculin blanc lésé qui est ’blessé sans être détruit’ et qui s’appuie donc sur les femmes d’une nouvelle manière. [25]

3.


Qu’est-ce que tout cela a à voir avec Ashli Babbitt ? Et qu’est-ce que Macciocchi et Dworkin ont à voir avec Babbitt, l’un de ces gars, dont l’accès aux institutions historiquement masculines reposait sur les réalisations ambiguës du mouvement féministe, dont la chute dans le conspirationnisme Q-anon a débuté par sa haine des femmes de pouvoir comme Clinton et Pelosi, et dont la protestation politique petite-bourgeoise a pris une tournure explicitement sexiste ? Nous nous serrons la main comme des gars – c’est un fantasme d’agentivité et de pouvoir, un fantasme de participation au contrat social-sexuel, un fantasme d’accès à l’intimité homosociale et à ses secrets, un fantasme de fraternité et d’appartenance. Il s’agit d’un fantasme trans qui ne peut s’avouer comme tel, mais qui admet aussi étrangement son échec. Comme des gars. Comme les hommes qui entouraient Babbitt au Capitole, les hommes qui l’ont aidée à monter puis à traverser la vitre brisée, et les hommes qui ont fait cercle autour d’elle après sa chute. Qui étaient ces hommes d’ailleurs ? Babbitt n’était-elle pas plus qu’un homme dans sa mort ?

Le martyre d’Ashli Babbitt souligne l’argument de Macciocchi relatif à la ’pulsion de mort’ qui se trouve à l’origine du fascisme et à ses expressions particulières chez les femmes. Elle confirme l’intuition de Dworkin selon laquelle les nouvelles femmes de droite seraient le produit du mouvement féministe auquel elles s’opposent. Le concept et la critique du fémonationalisme sont primordiaux, mais ne suffisent pas à rendre compte de la complexité de cette situation. Dans une direction différente, Moira Weigel a inventé le terme de ’personnalité autoritaire 2.0’ pour les parties de la droite qui se sont établies en ligne et parmi les acteurs puissants de la Silicon Valley. [26] Weigel montre comment ces acteurs, façonnés par la Big Tech et sensibles aux conditions matérielles du capitalisme de plateforme, ont absorbé des éléments de la contre-culture des années 1960 et de ses idées sur la liberté. La ’personnalité autoritaire 2.0’ n’est pas un programme de mobilisation des masses, comme l’était autrefois le fascisme. Il s’agit de l’identification et de l’agitation algorithmique de marchés de consommation de niche. Weigel, brillante historienne des médias, est attentive aux dynamiques de genre qui apparaissent partout en ligne et à la manière dont les technologies des médias ont façonné nos vies sexuées hors ligne. Mais elle laisse de côté les politiques sexuelles de la ’personnalité autoritaire 2.0’.

Macciocchi a prévenu que le fait de ne pas prendre au sérieux « l’antiféminisme féminin » signifiait un manque pour la gauche de clarté politique et d’engagement féministe, nécessaires pour le combattre. Dworkin craignait que la droite réponde aux préoccupations de (certaines) femmes, à mesure que la gauche prenait ses distances avec le mouvement féministe. [27] La conjoncture actuelle, marquée par la mort et la maladie en masse, l’efflorescence affective autour des nouveaux médias, la re-domestication du travail des femmes et le nouveau familialisme de la période néolibérale produiront leurs propres formes d’« antiféminisme féminin » à travers tout le spectre politique. Celles qui ont été forméés dans la tradition féministe entendront la « machine à résonance » qui produit les Bruenig et les Barrett, ainsi que les Babbitt. Alors que l’Europe se prépare à l’élection possible de Marine Le Pen, la fille du fascisme en France, et ce après que la ministre de l’Enseignement supérieur du président Macron, Frédérique Vidal, a déclaré que la « théorie du genre » faisait partie d’une menace « islamo-gauchiste » contre la République, nous sommes sur le point de revenir une fois de plus sur ces questions. Et nous sommes prêts à redécouvrir qu’un véritable antifascisme, en théorie et en pratique, nécessite une politique féministe militante.

Robyn Marasco.
25 juin 2021.

[1[NdT] Ne me marche pas dessus !, lancé à l’aube de la Révolution américaine, est devenu un slogan de l’extrême droite libertarienne. Il figure sur le drapeau de Gadsen, repris par le Tea Party. Il est accompagné d’un serpent à sonnette, symbole de l’unité coloniale dessiné à l’origine par Benjamin Franklin en 1754, l’un des Pères fondateurs des États-Unis, puis repris par Christopher Gadsen. Ce drapeau et sa devise sont désormais présents dans les meetings de Trump, lors des manifestations pro-armes ou encore dans les rassemblements contre les vaccins. Il tend de plus en plus à être mobilisé lors d’attaques et de meurtres racistes par les suprémacistes blancs.

[2L’appropriation est partout à droite aujourd’hui, de l’attaque contre le « capitalisme woke » à la défense de mauvaise foi de la liberté d’expression en passant par la pratique de la protestation populaire. « Quelles rues ? Nos rues ! – ce qui était autrefois un cri de ralliement du mouvement Black Lives Matter a été approprié par la droite, maintenant entendu lors de la marche « Unite the Right » à Charlottesville, des manifestations pro-police à Saint-Louis et lors des émeutes du Capitole. Le « mash-up » et la qualité mimétique du discours (et de l’esthétique) de droite constituent aujourd’hui une part importante de son pouvoir.

[3La Donna « Nera » : Consenso Femminile e fascismo de Macchiochi est épuisé dans son édition italienne. Le livre n’a jamais été traduit en anglais. Une version condensée de son essai, « Les femmes et la traversée du fascisme », a été publiée dans Tel Quel en 1976, qui a ensuite été traduite et publiée dans la revue anglophone Feminist Review. L’historienne féministe Jane Caplan a rédigé une introduction utile à l’essai et à l’argumentation de Macciocchi, qui se concentre sur sa critique simultanée de « l’ultra-gauchisme » et de « l’ultra-féminisme ». Voir Maria Antonietta Macciocchi, « La sexualité féminine dans l’idéologie fasciste », Tel Quel, n° 66 (1976) 26-42 et « Female Sexuality in Fascist Ideology », Feminist Review, n° 1 (1979) 67-82. Voir aussi Jane Caplan, « Introduction to ‘Female Sexuality in Fascist Ideology’ », Feminist Review, n° 1 (1979) 59-66.

[4Elle écrit : « Je parle au nom de celles qui ont tué l’antiféminisme féminin, qui a été artificiellement alimenté par le pouvoir masculin et qui fait d’une femme l’ennemie d’une autre. Je parle au nom des « femmes extrêmes », celles qui sont jugées trop intelligentes, trop actives, trop militantes, trop généreuses, trop courageuses, etc. » Macciocchi, « Female Sexuality in Fascist Ideology », p. 81. En pensant à Ashli Babbitt, elle-même tuée par un policier en civil, cela semble être une épigraphe inappropriée aux présentes réflexions.

[5[Ndt] Le conservatisme de mouvement est un terme utilisé par les analystes politiques pour décrire les conservateurs aux États-Unis depuis le milieu du 20e siècle et la nouvelle droite.

[6Andrea Dworkin, Right-Wing Women : The Politics of Domesticated Females (New York : Perigee Books, 1983).

[7Macciocchi évoque effectivement Hitler et le fascisme allemand, mais une grande partie de son analyse se concentre sur le cas italien, tout en faisant référence à des exemples plus récents du Chili de Pinochet.

[8[NdT] Phyllis Schlafly était une lobbyiste conservatrice américaine, connue pour ses positions anticommunistes, antiféministes et anti-avortement. Une mini-série, « Mrs. America », a été consacrée à sa campagne de lobbying en 1972 contre la ratification de l’Equal Rights Amendment qui visait à garantir l’égalité des droits hommes/femmes et la liberté de reproduction.

[9Voir, Holloway Sparks, “Mama Grizzlies and Guardians of the Republic : The Democratic and Intersectional Politics of Anger in the Tea Party Movement,” New Political Science, Vol. 37, No. 1, (August 2014) 1-23.

[10Theodor Adorno et al, The Authoritarian Personality, (London : Verso, 2019).

[11Ugo Palheta, “Fascism, Fascisation, Antifascism,” Historical Materialism, January 7, 2021, https://www.historicalmaterialism.org/blog/fascism-fascisation-antifascism. Disponible en français sur ce blog Médiapart.

[12Ibid.

[13Maria Antonietta Macciocchi, « Letters from Inside the Communist Party to Louis Althusser » (London : New Left Books, 1973).

[14Macciocchi, “Female Sexuality in Fascist Ideology,” 68.

[15Reich a développé l’idée de « cuirasse caractérielle » comme une synthèse de Marx et de Freud. L’histoire du concept est trop longue pour être reconstituée ici, même s’il convient de noter que les premières écoles de Francfort poursuivent une intégration différente de Marx et Freud autour du concept de Charaktermaske. Pour un débat éclairant autour de ces thèmes, voir Kyle Baasch, « The Theatre of Economic Categories : Rediscovering Capital in the late 1960s », Radical Philosophy, 2.08 (2020) et la réponse critique d’Asad Haider (à paraître).

[16Macciocchi, “Female Sexuality in Fascist Ideology,” 72.

[17Ibid., 73.

[18Ibid., 79.

[19Ibid., 77.

[20Ibid., 74.

[21L’idée de Reich de « cuirasse de caractère » a une dimension corporelle significative et ne doit pas être interprétée exclusivement, ni même principalement, comme une théorie de la personnalité. Voir Wilhelm Reich, Character Analysis, trad. Vincent R. Carfagno (New York : Farrar, Straus et Giroux, 1972).

[22Bien que cela dépasse le cadre de ma lecture, il convient de noter ici que la judéité de Dworkin était importante pour son propre sentiment d’identité et pour sa théorie de l’oppression masculine et de la haine des femmes. En 2000, Dworkin a publié « Scapegoat : The Jews, Israel, and Women’s Liberation », qui établit des parallèles entre l’antisémitisme et la misogynie, défend le sionisme et défend une vision féministe d’une « patrie » pour les femmes. Il me semble que le sionisme offre en grande partie ce que la jeune Dworkin voyait dans la politique des femmes de droite : un lieu où le peuple juif peut être en sécurité. Au moins dans certains contextes, Dworkin a renoncé au type de « sécurité » douteuse que la droite promet et poursuit.

[23Dworkin, Right-Wing Women, 26.

[24Ibid., 26-7.

[25Wendy Brown, In the Ruins of Neoliberalism : The Rise of Antidemocratic Politics in the West (New York : Columbia University Press, 2019), 180.

[27La personnalité radiophonique de droite, Rush Limbaugh, a popularisé le terme « féminazi » et s’en est pris à des femmes comme Dworkin, encore un autre exemple de projection et de désaveu de la droite.

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