TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Le rose. Et un joyeux nouveau vagin

Dans « Le rose » (un article paru en 2019 dans le magazine new-yorkais n+1 [1]), Andrea Long Chu parle Marche des Femmes, bonnets roses, chirurgie du bas et musique pop, et réfléchit aux difficiles impasses du signifiant « pussy/chatte » dans la lutte féministe. Qui sont, au juste, les sujettes de la lutte féministe, quand celles-ci sont sans cesse conduites à embrasser d’autres solidarités, trans*féministes, décoloniales, anti-racistes, handi ou encore pro-sexes ? Le signifiant « vagin » et les tensions qu’il suscite permet à Andrea Long Chu de poser la question d’un autre signifiant glissant : le signifiant « femme » ou « femelle » et son incapacité à désigner le sujet collectif du féminisme. « Tout se passe comme si, écrit Chu, ayant assimilé la coupable impossibilité de parler au nom de toutes les femmes, le féminisme s’était résigné à jouer le rôle modestement vertueux de maîtresse de maison pour les causes des autres. »
En bonne disciple de Valerie Solanas (l’anti-héroïne du féminisme radical à laquelle on doit le SCUM Manifesto ou Manifeste des Rebuts), Andrea Long Chu n’écrit pas nécessairement les choses parce qu’elles sont vraies, « mais parce qu’elle peut les écrire », c’est-à-dire pour en tester les effets sur elle-même et ses lectrices. C’est ainsi qu’elle lit l’appel de Solanas « à renverser le gouvernement, achever l’automation complète, éliminer le système monétaire et supprimer le sexe masculin [2] » : maintenant que nous avons entendu cet appel, comment sommes-nous conduites à nous positionner ? La même chose peut se dire du texte qui suit où se mêlent témoignages à la première personne, critique culturelle et une fine dose de dialectique : c’est une opportunité pour faire face, peut-être, à quelques unes de nos propres contradictions intérieures.

Ma chatte avait deux ans quand j’ai eu la mienne. Elle m’avait même précédé sur ce plan-là (la chirurgie du bas) en se faisant opérer quelques vingt-et-un mois avant moi, apparemment. Quand je l’ai trouvée, dans un refuge pour animaux près du bâtiment des Nations Unies à Manhattan, j’avais déjà plus ou moins abandonné les recherches. J’avais passé trois jours à braver les pluies froides de janvier, munie de ma caisse à chat achetée sur Amazon Prime ; trois jours où j’étais rentrée à la maison bredouille et trempée. Ce n’est pas si facile de mettre la main sur une chatte. Les chats se reproduisent au printemps et en été, donc adopter un chaton en plein hiver ce n’est pas une mince affaire. Mais le quatrième jour, en me rendant dans mon cinquième refuge, j’ai finalement rencontré cette petite créature, marbrée d’argent et âgée d’à peine trois mois, tout juste sortie de chez le vétérinaire. Elle s’est accrochée à moi comme on s’accroche à un arbre ou à un espoir. On m’a dit que c’était un mâle, mais j’avais déjà entendu ça. Elle a tremblé sur tout le chemin du retour.

C’était l’hiver aussi quand j’ai eu ma chatte. Intentionnellement, les semaines qui ont précédé l’opération étaient dans le flou. J’avais recoloré mes cheveux gris-métal en gris-argent légèrement violacé. Je peinais stupidement à finir le manuscrit de mon premier livre, que je jetai dans les mains de mon éditrice comme on vide son frigo des restes d’un plat qui commencent déjà à moisir et tout en sachant qu’on n’en aurait jamais mangé de toute façon. J’avais acheté de nouvelles lunettes. Et fait un tour chez le dentiste.

Mon premier tatouage était une vulve aux formes géométrisées : sur mon avant-bras. Une amie me tenait la main. Je ne vous apprendrai rien si je vous dis que ce tatouage était douloureux, de cette sorte de douleur qui, bien qu’on puisse la prévoir, vous prend tout de même par surprise. Toute douleur corporelle commence avec le choc que provoque l’audace de l’intrusion physique, une sorte d’étonnement face à l’insinuation franchement incroyable que je ne suis pas, contrairement à ce que je pensais encore une seconde auparavant, le centre de l’univers. J’ai appris ma leçon façon électrique : pendant un an, une épilation de la zone pubienne, où chaque follicule était ciblé par de petites piques très précises, à peine de la taille d’un cheveu. Après des mois de lutte, ma douleur et moi sommes arrivées à une forme de réconciliation, nous reconnaissant mutuellement l’une à l’autre un certain droit à la présence sous une clause tacite de non-interférence, comme deux ex s’échangeant un bref hochement de tête quand elles se croisent en soirée.

En vérité, j’en étais à collectionner les douleurs, je les épinglais au tableau de liège de mon cerveau comme autant de petits insectes, inscrivant consciencieusement sous chacune d’elles leurs noms sur de menues étiquettes. Ainsi rassemblées, j’avais dans l’espoir que ce catalogue de douleurs pourrait rendre compte d’une métamorphose plus profonde que le simple réarrangement de chairs que j’allais subir. Dans la vaginoplastie, le pénis n’est pas excisé, mais délicatement ouvert et invaginé — pensez à une mangue qu’on couperait en deux. Le scrotum, une fois ses locataires expulsés, sert à ourler les parois vaginales et à former les lèvres. J’ai scrupuleusement détaillé par le menu les angoisses qui m’attendaient au tournant : les complications, la possibilité de se réveiller en pleine opération. Mais vraiment, pour l’essentiel, je voulais être coupée, je voulais qu’on me coupe en deux comme la femme des tours de magie. Je n’avais pas peur que le degré de changement soit catastrophique. J’avais peur qu’il ne le soit pas assez.

La veille de l’opération, j’ai donné une petite fête au deuxième étage d’un pub à Brooklyn. J’avais passé des semaines à chercher une nouvelle robe. « Mademoiselle Andrea Long Chu vous invite à vous joindre à elle et à ses amies pour célébrer les funérailles de sa bite », disaient les faire-part. Les vêtements de deuil étaient préconisés. Quand je suis arrivée, j’ai découvert qu’une des invitées avait dévalisé la boutique de farce-et-attrapes du coin et dressé un mur de ballons sur lesquels on pouvait lire « Happy New Vagina » [Joyeux Nouveau Vagin]. Les ballons se tenaient là, couleur aluminium sur fond de mur de brique, le H légèrement décalé, comme indigné du rôle qui lui avait été réservé. Ce soir-là, nous nous sommes engagées dans des rituels funéraires. « Toutes mes condoléances », m’a-t-on volontiers répété, faisant une moue moqueusement empathique. L’une de mes amies m’a offert une paire de sous-vêtements érotiques ; une autre, une banane coupée en deux. À la fin de la soirée, une autre m’a présenté un gâteau-annonce-du-sexe [3], qu’elle m’a invité à couper. Le gâteau était rose. Tout allait se passer pour le mieux.

La situation du vagin dans les politiques féministes aujourd’hui est, au mieux, touffue

Neuf heures plus tard, je trottinais maladroitement dans un couloir au bras d’une infirmière du bloc opératoire, mes chaussures recouvertes de leurs capotes hygiéniques se coinçant dans les angles du carrelage. Je ne sais pas pourquoi, mais nous étions pressées. Je ne pouvais rien voir sans mes lunettes — on m’avait dit de les laisser dans la chambre — donc l’infirmière avait saisi mon bras et courrait droit devant elle comme une joueuse de football américain en me serrant contre son torse. Faisant ainsi notre petit jogging pré-opératoire, nous discutions. Elle me dit qu’elle avait récemment fait une chirurgie laser aux yeux pour se débarrasser de ses lentilles. « C’est plus pratique pour mon travail », me dit-elle. « Ma famille s’inquiétait des risques, mais c’est ce que je voulais. » Et puis nous y étions : une large porte munie d’un hublot, comme si nous étions des soldates renégates qui nous apprêtions à monter à bord d’un sous-marin. À l’intérieur, on aurait dit un décor de cinéma, probablement parce que les seules salles opératoires que j’avais jamais vues étaient dans des films ou à la télé. On m’a attachée à la table. Des personnes en blouse blanche s’activaient autour de moi, vérifiant ceci, consultant cela. L’une d’entre elles a dit : « on se croirait à un arrêt au stand, comme en Formule 1 ». Dans l’analogie, c’était moi la voiture. Quelqu’un s’est approché pour piquer une de mes veines. « On m’a dit que j’avais de bonnes veines », me suis-je vantée.

On dit que quand l’anesthésiste vous dit de compter à rebours à partir de 10, 9, 8…, personne ne dépasse 9. Je ne me rappelle pas avoir commencé à compter.

Ce n’est pas facile d’expliquer pourquoi je voulais un vagin. Il y avait les soucis techniques : dissimuler mon pénis entre mes jambes n’était vraiment pas pratique, et je devais souvent reproduire l’opération à chaque changement de posture. Le sexe, aussi, était un facteur important. Avoir des relations sexuelles avec le corps qui était le mien, c’était un peu comme essayer d’écrire sur un tableau noir avec un citron – et c’était vrai même avant que la plus simple excitation érotique commence à devenir douloureuse. On m’a dit qu’il s’agissait d’une atrophie liée aux bloqueurs anti-testostérone. Cela paraît évident : ton corps coupe le gaz si tu arrêtes de payer les factures. Mais l’explication la plus simple tenait au fait que j’espérais qu’en ayant un vagin, je me sentirais davantage être une femme. Malheureusement, cette explication s’avère être aussi la plus compliquée.

La situation du vagin dans les politiques féministes aujourd’hui est, au mieux, touffue. Pas besoin sur ce point de remonter plus loin dans le temps qu’au moment de la Marche des Femmes sur Washington, en janvier 2017, un jour après l’inauguration [de Trump à la présidence des États-Unis]. Deux mois avant la marche, inspirées par les déclarations du nouveau président-élu se vantant de pouvoir attraper les femmes « par la chatte », deux tricoteuses amatrices, Krista Suh et Jayna Zweiman avaient publié un patron de tricot qui s’est rapidement répandu sur les réseaux sociaux : ce patron permettait de tricoter un simple bonnet rectangulaire qui, une fois placé sur la tête, munissait sa porteuse d’oreilles de chat. Zweiman affirme que le rose a été adopté de manière ironique, en raison de sa connotation « girly » et frivole. En quelques jours, le bonnet-chatte [pussyhat] est devenu l’uniforme officieux de la Marche des Femmes ; des photos vues du ciel de l’événement, la plus grande manifestation éphémère qu’ait connue le pays au cours de son histoire, donnent à voir une mer de petits points roses.

Les critiques adressées au bonnet-chatte en sont venues à être dominées par deux slogans : 1/ toutes les chattes ne sont pas roses et 2/ toutes les femmes n’ont pas de chatte. La première objection, qui revient à une accusation de racisme, s’appuie sur une confusion très largement partagée mais rarement consciente des différents sens du mot argotique chatte, qui peut soit se référer au vagin, c’est-à-dire le canal musculaire par lequel les mammifères donnent naissance ; soit à la vulve, qui inclut les organes génitaux externes (lèvres, clitoris, vestibule vulvaire, et même le mont du pubis) ; soit aux deux en même temps. Ajoutez à cela le fait que le mot vagin est parfois employé pour dénoter la vulve, et tout fout le camp. Les vulves tendent, certes, à refléter la couleur de peau, puisqu’elles sont de teintes plus foncées ; les vagins, cependant, sont tous et toujours roses, aussi sûrement que le sang est toujours rouge. (C’est d’ailleurs aussi le cas du vestibule, ce petit foyer caché que vous ou votre partenaire découvrez quand vous séparez les petites lèvres.) Ceci n’étant pas dit pour dédouaner la Marche des Femmes de son absence de mixité raciale, au contraire. Mais quant au bonnet-chatte lui-même, tout ce qui s’est finalement dit sur la difficile coalition des luttes, sur la représentation, sur le féminisme et sa relation tumultueuse avec le racisme aurait pu facilement être évacué avec un simple miroir de poche.

La seconde objection — selon laquelle toutes les femmes n’ont pas de vagin — est plus difficile à évacuer. D’un côté, elle a l’avantage certain d’être vraie : il est vrai que toutes les femmes n’ont pas de vagin ; tout autant qu’il est vrai que tous les vagins ne sont pas de femmes. Cela dit, le bonnet-chatte est tout de même assez loin d’être une représentation artistique des organes génitaux femelles. C’est juste un morceau de costume, dont la suggestion la plus littérale ne consiste pas à dire que les porteuses du bonnet sont nécessairement des femmes, mais plutôt : des chattes (ou des chats). Ceci assurant le fait que la relation entre le bonnet et l’organe sexuel était, au bas mot, figurative : de l’ordre du jeu de mots sémiotico-visuel, le bonnet-chatte permettait aux manifestantes un écart, à peu de frais, par rapport aux normes de la décence bourgeoise. Ce n’est pas exactement comme si on avait demandé aux participantes de soulever leurs jupes pour pouvoir entrer dans la Marche des Femmes. La vraie question soulevée par le bonnet-chatte n’était pas de savoir si les femmes pouvaient être réduites à un muscle élastique (idée risible que personne n’a jamais vraiment considérée), mais de savoir si l’on pouvait décemment confier à l’image réfractée d’un vagin le rôle de symbole politique pour un mouvement féministe qui s’est, depuis longtemps, largement dénié la possibilité de se doter de symbolisme.

Je ne remets pas en cause le fait que certaines femmes transgenres aient pu se sentir aliénées par ces bonnets. Mais il y a aussi celles qui, comme moi, ne se sont pas senties aliénées. En réalité, les femmes trans avaient toute une variété d’opinions concernant le bonnet-chatte. Certaines d’entre nous avaient même deux opinions. Et cependant, de nombreuses femmes cis semblent avoir trouvé une curieuse satisfaction politique à pouvoir projeter sur les femmes trans leurs propres sentiments ambivalents concernant le bonnet-chatte (sans parler de leurs chattes-chattes) au nom de la solidarité. En s’assurant les unes les autres que le vagin n’avait pas sa place dans les trafics métaphoriques du féminisme, ces femmes s’arrogeaient en réalité l’organe en question. Après tout, le bonnet-chatte ne pouvait être traduit en justice devant les juges de l’essentialisme que si l’on avait décidé par avance que la seule relation possible au vagin consistait à en avoir un. « Toutes les femmes n’ont pas de vagin », semblaient dire nos soutiens, « mais nous oui. » Au pire, cette forme de raisonnement servait de couverture aux mêmes obsessions transphobes qui tournent autour des organes génitaux des femmes trans ; de sorte que, d’une certaine manière, sous couvert d’inclusivité, les femmes cis se donnaient donc à elles-mêmes le rôle de nous rappeler à nos bites. Au mieux, nos défenseures présupposaient, avec une ignorance remarquable, que les femmes trans ne pouvaient tout simplement pas être intéressées par un imaginaire vaginal – comme si notre intégrité psychique fondamentale ne pouvait reposer, comme celle de tout·e à chacun·e, sur l’identification avec des choses qu’au sens le plus plein du terme nous ne possédons pas.

Mais je m’emballe. Quelle importance ? Les bonnets-chattes étaient stupides et mignons et avaient l’air d’avoir été tricotés par ta mère. Pour quelques-unes, c’était rédhibitoire ; pour les autres, ça en faisait un point de convergence — surtout pour ces quelques femmes blanches qui vivent dans les banlieues chic et chez qui la défaite d’Hillary Clinton avait éveillé une conscience féministe. De ce point de vue, les bonnets-chattes en sont venus à signaler une sorte de jeunesse distincte de l’âge biologique : une jeunesse politique, dont les traits caractéristiques tiennent essentiellement à une sorte de puérilité rhétorique embarrassante. Le véritable problème soulevé par les bonnets-chattes c’est qu’ils donnaient à voir, avec la touchante naïveté qu’ont les tard venues sur le champ de bataille politique, la promesse d’une catégorie universelle pour les femmes, à laquelle le féminisme avait depuis longtemps juré de renoncer. Il n’est peut-être pas exagéré d’imaginer que les féministes qui se sont le plus opposées au bonnet-chatte l’ont justement fait parce qu’elles voyaient dans l’insouciance de celles qui l’avaient adopté une version comme rajeunie et plus sympathique d’elles-mêmes, tout sous le charme que ces tard venues étaient de leurs nouvelles amours avec la conscience politique, dont elles n’avaient pas encore appris à contenir les ambitions. On a généralement honte de ce dont on a été fière.

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Deux mois avant mon opération, j’ai fait un rêve où j’étais un personnage dans un jeu vidéo. Comme il arrive parfois dans les jeux vidéo, je mourrais. À ma résurrection, j’avais un nouveau visage, le visage d’une autre femme. À mon réveil, je me suis blottie dans les bras de ma compagne. En larmes, je réalisais que tout ce que je n’avais jamais voulu, c’était de ne plus être capable de me reconnaître moi-même.

Je me suis réveillée dans la salle de convalescence légèrement délirante. L’anesthésie générale se dissipait lentement à la manière d’un vers parasite qu’on aurait eu du mal à convaincre de sortir de son hôte. La douleur était intense et vive, comme si j’avais eu envie de pisser depuis une semaine sans pouvoir me soulager. Deux tubes en caoutchouc s’échappaient de mon pelvis entièrement couvert de pansements. Je finis par retrouver suffisamment mes esprits pour comprendre que l’un d’eux était un cathéter qui avait pour fonction de drainer l’urine de ma vessie, et l’autre un « aspirateur à blessure » dont la fonction était de tirer de mon corps un fluide rouge-sang et des morceaux de quelque chose plus sombre. Moi, probablement. Mais quant à ce qui dormait au-dessous de ces pansements, personne n’aurait pu dire de quoi il retournait. Aucun organe génital ne semblait y avoir plus sa place qu’un autre — et aurait tout aussi bien pu s’y cacher un nouveau membre, ou le visage de la plus belle femme du monde.

La beauté implacable de l’opération tient à ce que ce sont exactement toutes les mêmes terminaisons nerveuses qui sont réemployées comme les pièces démantelées d’un vieux bateau.

Les médecins m’avaient assuré qu’après l’opération je n’aurais pas faim, en raison du fait que l’anesthésie donne la nausée à une patiente sur trois, donc bien sûr j’étais affamée. Trépignant comme une enfant, je commençai à réclamer de la nourriture. L’infirmière, généreuse, m’a donné un cracker, que j’ai dévoré avec une joie enfantine, en laissant le blé sec du gâteau se transformer en bouillie dans ma bouche. Bientôt, un petit parlement de blouses blanches me rendait visite, qui s’assurait auprès de l’infirmière que j’étais bien maintenue à un régime strictement liquide. Elle a confirmé sans hésiter. « Merci de n’avoir rien dit », m’a-t-elle chuchoté après que les blouses blanches sont parties. Maintenant, nous avions toutes les deux un secret.

Je suis restée à l’hôpital encore cinq jours. Ma petite amie dormait sur le canapé dans ma chambre. Je m’efforçais de regarder des émissions culinaires sur Netflix, mais les morceaux de viande scintillants commençaient à trop me rappeler la maison. Au troisième jour, je réussis à chanceler hors de mon lit et à m’installer sur une chaise. J’eus immédiatement la nausée et vomis athlétiquement dans la première poubelle à ma portée en y lançant un jet parfaitement parabolique. Des amies sont venues avec des fleurs et des potins. L’une d’elles m’a amené une guirlande de vulves en papier qu’elle avait elle-même confectionnée. Une autre m’a offert un bonnet-chatte. Le dernier jour, la chirurgienne est venue, pleine d’entrain, découvrir les résultats de son opération, et retirer un long ruban de gaze ensanglantée de mon vagin, comme une magicienne tire des mouchoirs de sa poche. Le canal enfin libéré de ses tubes et autres débris, elle se saisit d’un long cylindre vert-métal rayé de cercles blancs, auquel elle administra une bonne lampée de lubrifiant et qu’elle m’enfonça comme on enfonce la pompe dans une voiture à la station essence. Il s’agissait d’un dilatateur médical, un parmi trois godemichets rigides en polyuréthane de tailles différentes. C’était maman ourse.

Cette nuit-là, dans mon lit, chez moi, ce sont des pleurs qui sont venus. Ou plus exactement, des lamentations, à la manière des mères qui lamentent les morts dans les vieux manuscrits. Ma voix, que j’avais entraînée depuis bien des années à se placer plus haut et à s’adoucir, s’épaissit ; à un moment, elle se brisa, comme les eaux d’une femme se brisent, et quelque chose de bas, de rauque, et plein de jambes, me remonta la gorge et sortit de ma bouche. La vérité, c’était que je ne me sentais pas davantage être une femme. Je me sentais exactement la même. La beauté implacable de l’opération tient à ce que ce sont exactement toutes les mêmes terminaisons nerveuses qui sont réemployées comme les pièces démantelées d’un vieux bateau. Cela voulait dire que ma vulve était bien vivante, pleine de sensation, mais cela voulait aussi dire que ces sensations étaient précisément ces mêmes sensations que j’avais cherchées à chasser à coup de bistouri. Le bateau serait toujours celui de Thésée, peu importe le nombre de pièces que je changerais. Je suppose que j’aurais dû le savoir avant l’opération. Et bien sûr, je le savais, intellectuellement. Tu te tiens sur la plage et tu regardes l’oasis au loin, de l’autre côté de l’eau ; tu nages, tu es sur l’oasis : à nouveau tu te mets debout, et tu regardes de l’autre côté. Tu as changé de point de vue, mais ta position est toujours la même. Tu es toujours Ici, où que ce soit. La marée va et vient, mais la distance, comme telle — voilà ce que tu ne peux pas franchir à la nage. Là, dans la distance, il n’y a que la noyade.

Dans les Métamorphoses, Ovide raconte l’histoire d’Alcyone, reine de Trachis. Lorsqu’elle découvre le cadavre de son mari noyé dans les décombres d’un naufrage, elle tente de se suicider en se jetant dans la mer. Pris de pitié, les dieux les transforment tous deux en martins-pêcheurs — aussi surnommés alcyons, en l’honneur d’Alcyone. Devenus oiseaux, ils sont ainsi réunis. Un vieil homme s’émerveille de leur amour, et regarde le couple planer au-dessus des eaux. Il s’agit d’une fin heureuse, je suppose. Et cependant, j’hésite lorsque je me mets du point de vue d’Alcyone. Ovide dit qu’elle essaye de se saisir du corps de son aimé dans ses bras à mesure qu’ils se transforment en ailes. Avec son nouveau bec, elle entrouvre les lèvres de son amant, convaincue qu’elle peut encore l’embrasser. Quelle sorte d’oiseau est-elle donc, elle qui ne sait rien d’autre qu’être humaine ? Qu’est-ce que cela veut dire pour elle que d’être capable de voler si elle reste incapable de croire qu’elle y arrive ?

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Le féminisme n’est jamais parvenu à assurer aux femmes le statut d’authentique sujet collectif, du moins pas au sens où la tradition intellectuelle marxiste espérait le faire avec le prolétariat. Au contraire, on pourrait même définir le féminisme contemporain par son refus de considérer la femme comme catégorie politique, puisqu’il considère que cette catégorie est historiquement complice de la suprématie blanche, du binarisme de genre, et des intérêts économiques des classes dominantes, voire du patriarcat lui-même. La conséquence, c’est que le féminisme se trouve dans la position peu enviable politiquement de devoir affirmer sa propre impossibilité. Pour soutenir les femmes, les féministes doivent réfréner toute tentation d’affirmer quoi que ce soit de positif qui les concerne. Ce qui en résulte, c’est une sorte de théologie négative entièrement dédiée à effacer les images peintes d’une déesse dont le goût pour l’auto-invisibilisation ne nous laisse guère de temples où pratiquer nos cultes.

Une des solutions les plus simples face à ce paradoxe a consisté à discrètement changer la signification du mot féminisme. Dans la culture populaire, et en particulier sur internet, féminisme en est venu à jouer le rôle de signifiant pour ce que la juriste Janet Halley appelle le convergentisme : la croyance que les projets de justice sociale ont pour devoir moral de converger, comme autant de lignes qui, si on les étire à l’infini, finissent par se rejoindre. Alors que le féminisme désignait il y a peu un élément parmi d’autres du programme de justice universelle, il le couvre à présent dans son intégralité — d’où les Principes d’Unité mis en avant par exemple sur le site web de la Marche des Femmes, qui appellent notamment à défendre les droits des migrantes, le revenu universel et la propreté de l’air aux côtés de réclamations plus classiques, telles que la liberté reproductrice et la fin des violences sexuelles. « Ça n’est pas du féminisme si ça n’est pas intersectionnel », a notamment tweeté Ariana Grande en mars 2019, en écho au fameux post de la blogueuse Flavia Dzodan en 2011 qui déclarait : « soit mon féminisme est intersectionnel, soit c’est de la merde. » Certaines variations populaires sur ce thème incluent à présent la formule « si ton féminisme n’inclut pas x, alors ce n’est pas du féminisme », où x peut signifier : les femmes trans, les femmes de couleur, les femmes grosses, les travailleureuses du sexe, les personnes non-binaires, ou n’importe quelle combinaison de ces groupes et d’autres. L’idée n’est pas que les féministes, désireuses de justice, devraient aussi s’impliquer dans l’antiracisme, l’anti-impérialisme et tout le reste ; l’idée, c’est plutôt que le féminisme, par définition, consiste à s’impliquer dans des causes extraféministes sans lesquelles il n’est pas féministe du tout. Voilà qui est étrange. Tout se passe comme si, ayant assimilé la coupable impossibilité de parler au nom de toutes les femmes, le féminisme s’était résigné à jouer le rôle modestement vertueux de maîtresse de maison pour les causes des autres, causes qui, quant à elles, auraient réussi à générer des discours politiques convaincants – et alors même que la plupart de ces causes impliquent des femmes, même si elles n’y sont pas considérées en tant que femmes. Dans cette configuration, le féminisme décrit non pas un projet politique concret mais l’impératif moral de s’engager en politique.

En d’autres termes, une féministe est quelqu’un de bien. Et si ça sonne comme un cliché, tant mieux. La conviction qu’il est à la fois possible et désirable d’être féministe, au sens ontologiquement épais du verbe être, ne connaît aucune comparaison dans les discours politiques de gauche, et de fait, toute une industrie médiatique s’est développée pour nous y guider et nous en instruire : comme Marie Claire apprenait à ses lectrices comment être à la fois de bonnes cuisinières et de bonnes décoratrices d’intérieur, de même aujourd’hui Causette et Elle donnent des conseils pour devenir une bonne féministe tout en s’habillant le matin. L’ironie, c’est que le féminisme, ayant introduit il y a quelque cinquante ans l’idée radicale que la vie intime aussi est politique, se retrouve aujourd’hui à devoir assurer la tâche laborieuse de faire de la politique un accessoire indispensable de la vie intime de chacune. D’où l’usage des pronoms possessifs : mon féminisme, ton féminisme. Il est facile, et assez improductif, d’interpréter cette évolution comme une simple récupération néolibérale ou commerciale. Des slogans comme ceux de Dzodan, indépendamment de leur intention originale, ne sont pas populaires parce qu’ils sont vrais (même s’ils peuvent l’être), mais parce que leur répétition sur les réseaux sociaux donne à certaines personnes un sentiment d’appartenance, d’utilité et d’importance qui leur permet de combler le fossé de plus en plus béant qui sépare leurs vies quotidiennes individuelles et le grand récit de l’universalité politique. Voilà comment opère l’imagination politique féministe ; et il serait inutile, stupidement romantique, et impossible de vouloir opérer en dehors de sa logique.

Telle est la substance de toute politique dotée d’un trou — un universel rose et invisible sauf quand la peau s’écarte et s’ouvre, aveuglément, à ses propres risques, ou au soleil, ou à la langue de quelqu’un.

Ce que je veux dire, ce n’est pas que le désir d’universel est politiquement défendable, mais plus simplement que le désir d’universel est synonyme de désir politique. Or, par un malheureux tournant du sort, le féminisme est à la fois devenu le nom fétiche de ce désir et la forme politique qui s’interdit de le prononcer. En effet, on pourrait donner pour définition minimale de la féministe qu’elle est une personne qui, tout en affirmant que les femmes ne constitueront jamais une classe politique, espère secrètement que cela finira par arriver un jour. Peut-on vraiment en vouloir à la « Marche des Femmes » d’avoir cherché un symbole de la féminité universelle, si les symboles sont tout ce qui nous reste ? Avant la marche, le compte Twitter du journal gratuit publié par le Washington Post, l’Express, tweetait une illustration de la foule à venir : lui était donné, vue de haut, une forme de cercle accompagnée d’une grande flèche. À l’évidence, il s’agissait là du mauvais symbole de genre — une gaffe qu’on aurait éminemment pu éviter et dont on ne peut mesurer le ridicule qu’en envisageant le nombre d’éditeurices par lesquels l’image a probablement été approuvée. Mais le faux-pas n’était pas si facile à repérer. L’illustration n’est-elle pas maquillée d’un beau rose-pêche ? La symbolique masculine n’est-elle pas ratée, la flèche ressemblant moins à un symbole du dieu Mars qu’au logo de la campagne Clinton ? En fait, si le faux-pas a pu si facilement échapper à l’appareil de vérification du journal, c’est sans doute à mettre sur le compte du fait que les éditeurices, consciemment ou pas, s’imaginaient que les femmes ont un tel besoin de disposer d’un symbole politique – n’importe lequel – que les détails de ce symbole importaient peu.

En avril 2018, Janelle Monáe sort le clip « Pynk », le troisième single de son album Dirty Computer. C’est un succès. On y voit Monáe danser dans de magnifiques pantalons en forme de vagin. Et les paroles comme les gestes font sans cesse allusion au cunnilingus et à la masturbation. (L’actrice Tessa Thompson, qu’on suppose depuis longtemps être l’amante de la chanteuse, est très présente à l’écran.) On a célébré Monáe pour son inclusivité — certaines danseuses ne portaient pas de pantalons-chatte —et pourtant, aucun doute possible sur le fait qu’elle aussi était à la recherche de l’universel rose-bonbon. « Rose… comme au-dedans de ton… » Ainsi commencent les paroles du clip, qui nous laisse en suspens jusqu’au moment où « … bébé » nous délivre du suspense. Malgré toute la franchise visuelle du clip, « Pynk » est un titre qui nous parle surtout de cachettes : toutes les choses roses auxquelles la chanteuse fait allusion — pas seulement la chatte de son amante, mais aussi sa longue, son cerveau, la peau sous ses ongles — sont partiellement cachées par la chair, la kératine, ou les os. « Tout au dedans, nous sommes toutes roses » répète Monáe, et bien sûr, elle voit juste. En anglais, le mot pour rose, pink, désigne aussi une fleur : les œillets, qui se disent carnations, du latin caro, pour « morceau de chair ». Au total, « Pynk » aura suggéré à nouveau ce que le bonnet-chatte avait prouvé, ne serait-ce que par accident, dans la controverse qu’il a suscitée : on ne peut atteindre l’universel qu’en tranchant dans les chairs. Telle est la substance de toute politique dotée d’un trou — un universel rose et invisible sauf quand la peau s’écarte et s’ouvre, aveuglément, à ses propres risques, ou au soleil, ou à la langue de quelqu’un.

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Les femmes me racontent des tas d’histoires. Elles me disent qu’aucune femme ne se sent bien dans sa peau ; qu’aucune d’entre elles n’est particulièrement douée pour se mettre du maquillage ; que c’est très dur pour les femmes de trouver des vêtements qui conviennent aux formes spécifiques de leurs corps ; que tous les seins pendent un peu de travers ; que les hormones sont toujours un peu hors de contrôle ; que toutes les femmes se jalousent les unes les autres. Elles me disent que le sexe fait mal ; que les orgasmes n’ont rien de particulier ; que tout le monde était laid au lycée ; que les adolescentes n’ont pas le genre de soirées pyjamas que les films hollywoodiens mettent en scène, et que quand elles se retrouvent entre elles, elles ne se peignent pas les ongles des doigts de pieds, et que même quand elles s’y essayent, le vernis à ongles colle sur les draps. Elles me disent qu’il n’y a pas d’expérience universelle de la féminité, sinon peut-être le fait qu’il n’y a pas une femme qui se sente vraiment femme ; elles me disent qu’en fait, être une femme ne correspond pour elles à aucune expérience particulière.

Je crois que, quand elles me racontent cela, elles pensent faire preuve de générosité. Ce n’est pas le cas, mais bon : que voulez-vous attendre d’autre de la générosité ? Bien sûr, on pourrait dire qu’il y a là en germe un processus de prise de conscience féministe : des femmes qui disent à d’autres femmes que personne n’est normal et que personne n’arrive à l’être. Mais mes amies ne savent pas la cruauté des confidences qu’elles me font, l’ironie à double tranchant de ce que cela implique : à savoir, l’idée que quiconque se croyant être une femme ne peut que se tromper. Elles ne savent pas la douleur qu’on éprouve quand on comprend que du seul fait d’être visé, l’objet du désir devient inaccessible et se brise en mille morceaux. Il y a une vieille histoire : celle de deux femmes qui se présentent au Roi Salomon et qui disent toutes deux être la mère du même nourrisson. Quand ce dernier propose de couper l’enfant en deux, la première femme accepte, mais la seconde, la vraie mère, se met à supplier Salomon de remettre l’enfant à la première. Elle préfère perdre la chose aimée plutôt que de la voir périr. Je suis cette deuxième femme. Et sans doute je ne pourrai jamais être qu’elle.

Les femmes cis en veulent aux femmes trans d’envier leur position, peut-être parce qu’elles peuvent à peine imaginer que ce qu’elles possèdent puisse être enviable. Nous avons ceci, au moins, en commun : nous sommes deux types de femmes, avec deux manières bien à nous de nous détester, enfermées dans des pièces à peine séparées par un mur contre lequel nous pressons chacune nos oreilles pour écouter ce qui se passe dans l’autre pièce, effrayées par la présence de nos rivales mais simultanément terrifiées à l’idée qu’il pourrait n’y avoir personne. De mon côté, cousine, voilà ce que je peux te dire : je ne veux pas ce que tu as, je veux la manière bien à toi que tu as de ne pas l’avoir. Je n’envie pas ta plénitude ; j’envie ton vide. Et maintenant, j’ai le trou qui le prouve. Je donnerais tout ce que j’ai pour me détester de la manière dont tu te détestes, dans l’espoir que ce soit une manière un peu différente de celle que j’ai de me détester — ce qui, bon, n’est pas garanti. Le problème, avec les vagins, c’est qu’on n’y voit pas très clair.

Andrea Long Chu
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emma-Rose Bigé

Andrea Long Chu est écrivaine et critique. Elle a fait des études de littérature à Duke et à New York University, où elle est actuellement doctorante en littérature comparée. Son essai « On liking women » a été considéré comme le point de départ de la « deuxième vague » des études transféministes (Sandy Stone). Ses écrits sont publiés dans n+1, Boston Review, The New York Times, New York, Artforum, Bookforum, Chronicle of Higher Education, Affidavit, 4Columns, differences, Women and Performance, TSQ, Journal of Speculative Philosophy, et ailleurs. Son premier livre, Females, sur Valerie Solanas et la féminité comme suicide politique (« Tout le monde est femelle, et tout le monde déteste ça. »), vient de paraître chez Verso Books. Elle vit à Brooklyn avec sa compagne et leur chatte. Son second prénom est vraiment Long.

Illustration :
Katherine Bernhardt, Fruit Salad Basket. 2016, acrylic and spray paint on canvas. 96 × 120". Courtesy of the Artist and CANADA, New York.

[1Andrea Long Chu, « The Pink », n+one, Issue 34, Spring 2019 ; https://nplusonemag.com/issue-34/politics/the-pink/ Merci à Andrea Long Chu de nous avoir autorisées à traduire sur son texte.

[2Valerie Solanas, SCUM Manifesto, auto-publié à New York en 1967 ; traduction française disponible sur infokiosques : https://infokiosques.net/article.php3?id_article=4

[3NdT : les objets ou événements gender reveal sont des dispositifs spectaculaires impliquant la révélation publique de ballons, de pigments, voire de feux d’artifice, colorés de « rose » (c’est un vagin !) ou de « bleu » (c’est un pénis !) censés indiquer le « genre » (sic) de l’enfant in utero à la famille et aux proches.

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