TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Le phallus du député français

Ce qui s’impose dans l’affaire de la sex-tape de Benjamin Griveaux c’est moins la mise en branle de la démocratie que l’état de fascination pour le sexe en érection qu’un homme politique suscite. Objet de convoitises, de blagues, de moqueries ou de considérations morales, la bite du député devient le phallus que tout le monde regarde. Le phallus en tant qu’ordre symbolique est bien plus qu’un pénis réel, il est un pouvoir qui avance en se dissimulant (par le rire ou par la honte) car un pouvoir n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il est voilé.

Dans l’affaire Griveaux, je demande la vidéo. Où est-elle passée la vidéo du scandale ? Celle qu’au moins 4 millions de personnes auraient déjà vue, que ce soit directement sur feu Pornopolitique (quel titre manifeste !), sur Twitter (merci Joachim Son-Forget), sur Messenger (ici je ne remercie pas mes amis car je n’ai rien reçu), ou encore sur Pornhub (catégorie « amateur » de préférence). Circulez il n’y a rien à voir, nous dit-on, et c’est sur ce rien que nous devons travailler. J’ai cru innocemment que la vidéo serait immortelle, que la bite du député français réapparaîtrait et se cacherait au gré du vent, esquivant le couperet de la censure pour faire une aussi belle carrière que les exploits de Paris Hilton. Eh bien, non ! Il semblerait qu’un voile de pudeur se soit délicatement posé sur le chibre politicien et cela commence par le fait de ne pas le nommer. Toute la presse, les experts, les commentateurs, les politiciens parlent de vidéo « à caractère sexuel », de vidéo « intime » ou encore de « messages connotés ». Heureusement, Ovidie fut là pour recadrer le débat : eh oh les gars, c’est d’une bite qu’on parle là ! Et oui, il se trouve que les premières heures de la journée de la Saint-Valentin furent consacrées à commenter en large et en travers l’esthétique du membre dur du petit Benjamin. Il paraît qu’il s’en sort pas si mal le garçon, que c’est une bonne bite, grande et légèrement incurvée (style banane). Éric Zemmour, toujours très satisfait de lui, prend même plaisir à la comparer à celle Chirac : « Ça valait pas Griveaux ! Ah ah ah ah ah ah ah ah ah ! Je suis admiratif ! Ah ah ah ah ». Tout le monde en parle et commente, à tel point qu’il n’y a même plus besoin de la voir réellement pour s’en faire une image. L’image était déjà là. Étrange paradoxe que à la fois cacher et faire parler. Il ne fait pourtant pas de mystère que quand on parle de phallus, on parle de pouvoir. Or, c’est bien le destin du phallus que de circuler de manière masquée et insidieuse. Le phallus est une chose détachable, que tout le monde veut s’accaparer (envoyez-moi la vidéo !), garder pour soi, perdre un peu honteusement, retrouver bien en sécurité dans la chaleur du foyer ; le phallus est grand, dur, beau en gros plan, mais aussi insaisissablement bloqué par un écran d’ordinateur ou par un filtre parental que les enfants savent faire sauter ; le phallus est celui dont on ne parle pas quand il est présent partout, et il est celui dont on parle quand il s’absente ; le phallus quitte le corps du député pour donner les pleins pouvoirs à madame Buzyn ; le phallus ne disparaît pour ainsi dire jamais de nos esprits, bien qu’il puisse parfois nous manquer [1]. Le phallus est une ruse. Par exemple, on ne parle pas du phallus quand une prostituée trans meurt fauchée par une voiture au bois de Boulogne. Non, cette terrible histoire sera certainement rangée dans les cartons des faits divers [2]. Circulez, il n’y a rien à voir. Et c’est sur ce rien qu’il faut travailler. Ainsi deux missions de haute importance nous incombent. La première est de marcher aux côtés de nos camarades travailleuses du sexe qui dénoncent l’assassinat de Jessyca Sarmiento survenu le 21 février dernier. La deuxième est de retrouver la vidéo du phallus du député français et de la placarder ad vitam sur la Tour Eiffel pour qu’on n’oublie jamais qu’un phallus ne se retire jamais de lui-même.

Socrata,
Février 2020.

[1Je voudrais préciser dans cette note le caractère fondamentalement hétérosexuel de ce qu’on appelle « l’affaire Griveaux » appuyé autant par la défense outrée du député concerné que par le duo moralisateur à la petite semaine Branco/Pavlenski. Le rôle du phallus agit ici comme le totem indispensable au fonctionnement d’une société hétérosexuée. Puisque le phallus est une fiction constamment mise en crise, il se fait parfois passer pour mort et devient plus puissant qu’il ne l’avait jamais été de son vivant. Dans le fond, aucun masque n’a réellement été retiré car déjà plus personne ne croit à l’honnêteté des hommes politiques. Ce qui compte ce sont les conséquences directes : le candidat à la mairie de Paris donné perdant d’avance a été remplacé par la ministre de la Santé et confère à cette campagne davantage de pouvoir qu’avant cette « affaire » ; le duo Branco/Pavlenski se refait une aura de virilisme gauchiste mis au ban de la société ; et la belle bite capitaliste hétérosexuelle a été adoubée par tout le monde.

[2Dans cette histoire le phallus/pouvoir a pris la forme d’une bande de types dans une voiture projetant hors de la vie une prostituée trans travaillant au bois de Boulogne. Au cœur de la problématique se trouve la loi pénalisant les clients de la prostitution obligeant les travailleuses du sexe à s’éloigner de plus en plus des lieux publics et ainsi à s’exposer à davantage de violences invisibles. Se trouve aussi la conséquence inéluctable d’une transmisogynie fondamentale : « Tout comme il y a le fétichisme de la marchandise, il y a le fétichisme du genre. Le genre est l’abstraction réelle qui agit sur les corps matériels de telle façon qu’il apparaît comme une caractéristique naturelle des corps eux-mêmes. Cependant, nous ne pouvons pas penser ce fétichisme comme s’il apparaissait toujours sous la même forme à travers l’histoire du capitalisme. En effet, les efforts des mouvements de libération féministes, queers et trans ont permis de grandes avancées dans la dénaturalisation du genre ; malheureusement, le néolibéralisme s’est quelque peu approprié ces avancées et a marchandisé la dénaturalisation du genre en tant que forme de consommation subversive ». (Lire l’excellent article de Joni Alizah Cohen d’où est extraite la citation : https://www.contretemps.eu/antisemitisme-transmisogynie-nazisme/).

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