Un vent nouveau souffle sur l’histoire LGBTQI+. Une redéfinition des enjeux politiques de l’histoire et de la mémoire portée par une génération de chercheur.euses concerné.es et par l’émergence de nombreux collectifs d’archives queers impulse des dynamiques inédites destinées à construire la connaissance et le passé des sexualités et des genres dissidents, en résistance au pouvoir et à son organisation verticale des grands récits et de l’oubli. Multiple, partiale, située, collective, la transmission devient elle-même une lutte, objet d’un militantisme dont la vocation résidera dans la création d’outils, de liens et d’espaces à même de soutenir ce changement.
Découvrez ici l’avant-propos et le sommaire du troisième numéro papier de Trou Noir dont la sortie officielle est prévue le 13 septembre.
Une soirée de lancement est prévue le vendredi 6 septembre à 19h à la librairie Les Mots à la bouche (Paris 11).
Avant-propos
Nous sommes resté.es, jusqu’à une époque récente, sous les radars de l’histoire. Par chance et/ou par malédiction. Objets de la médecine [1] puis de la justice [2], nous ne suscitons l’intérêt des sciences sociales et des historiens que depuis peu – et au prix d’une certaine homogénéisation exigée par leurs épistémologies.
Si cet oubli (ou ce délaissement) a pu être une chance, c’est parce que même lacunaire, en fragments éparpillés et parfois enfouis, la mémoire LGBTQI+ s’est construite et transmise principalement par les personnes concernées. Cet éclectisme et cette capacité à habiter les interstices ont permis le développement de sous-cultures, fragiles certes, mais nomades et résilientes de par cette fragilité même.
Chacune de ces sous-cultures, chacun de ces mondes, articulant lien social, désir, cartographie, exposition de soi, sexualité… implique avant tout la possibilité de les mettre en mots, de les dire et donc par extension, de se dire soi-même. C’est peut-être là le commun minimal qui fut nécessaire à l’émergence d’un militantisme.
Né au début du 20e siècle, le militantisme homosexuel [3] va entretenir un rapport dangereux à l’histoire et à son écriture. Persécutées pendant les années 1930 puis pendant la guerre sous l’impulsion du nazisme et du fascisme, les personnes LGBT+ vivront d’abord l’histoire comme une malédiction, comme une exclusion du droit à la parole et à ce qui mérite d’être dit, c’est-à-dire de l’humanité. Malgré une répression toujours vivace après la guerre, un travail de parole va se construire au travers du mouvement homophile Arcadie. La vague révolutionnaire mondiale des années 1970 exacerbera une conflictualité autour des enjeux de l’histoire. Les émeutes du Stonewall feront signe dans le monde entier et l’homosexualité révolutionnaire prônera un renversement de la famille, des structures sociales, des inégalités, des institutions et du discours. Bref un renversement de l’histoire assimilée à l’ordre moral et bourgeois.
Depuis lors, une attention croissante est portée aux traces de la mémoire LGBTQI+ par diverses formes militantes. Si d’un côté, les centres LGBT+ et les associations se font l’écho d’une meilleure prise en compte et d’une intégration sociale, il nous faut mentionner les mouvements politiques queers et gender fuck qui vont renouveler les rapports entre militantisme et pratiques de l’histoire en s’emparant de la légitimité du discours, de la capacité même de produire un discours sur sa propre expérience.
Et il était temps. Si l’acronyme LGBTQI+ correspond à un certain niveau de lecture des mouvements minoritaires, l’histoire interne de ces mouvements nous rappelle que la lettre G (gay masculin) a longtemps et volontairement bridé l’organisation et l’épanouissement des autres lettres de l’acronyme : les bisexuel⸱es, les lesbiennes, les personnes trans* et les personnes intersexes.
Aujourd’hui, l’histoire LGBTQI+ se construit comme une mémoire vivante, par diverses initiatives comme des collectifs d’archives, des lieux de ressources, des plateformes numériques. Elle a notamment permis de décentraliser l’homosexualité masculine des objets de recherches pour y faire entendre les constructions historiques lesbiennes, trans et intersexes. Cette mémoire garde souvent son aspect militant par deux éléments essentiels : elle est faite par et pour des personnes concernées et elle est faite d’une manière à produire une mémoire en acte. Les rôles d’historien⸱nes et de militant⸱es en viennent à se troubler tout comme les manières de faire histoire ou de faire de la politique. L’exemple du militantisme apparu en réaction au SIDA est à ce titre remarquable : d’un côté, informer l’opinion par des actions de visibilité radicale et de l’autre s’informer par des circuits alternatifs et des complicités là où la médecine confisquait la capacité même d’avoir une prise sur son propre corps.
Si histoire et mémoires croisent des problématiques d’objectivité et de subjectivité, d’évènements et de récits de vie, d’habitudes et de mises en mots, de vérités et de souvenirs, elles charrient inévitablement un sens, qui lui aussi sera l’enjeu d’une conflictualité politique.
La question de la mémoire est une part irréductible du militantisme LGBTQI+. Les manières de se nommer, d’affirmer, d’être ensemble, de se protéger, de se soigner tiennent à un militantisme qui, quoiqu’on en dise, reste sur la brèche. Ce que l’on appelle « nos droits » n’est peut-être que le symptôme d’une contre-histoire ayant réussi à destituer le pouvoir en certains points. La mémoire militante mérite une exploration qui est aussi une tentative de rapprocher ou de réactualiser des évènements dans notre présent.
Il nous reste à en découvrir les modalités. C’est cette ambition qui nous a aiguillé.e.s en rassemblant les textes qui vont suivre.
Sommaire
• Faire communauté avec l’archive – Entretien avec le Collectif Archives LGBTQI+ Paris
• Le capital mémoriel LGBTQIA+ – par Roméo Isarte
• Petites histoires d’adolescences trans – par Clovis Maillet
• Entretien avec David Halperin – par Quentin Dubois et Mickaël Tempête
• Deuiller au travers – par Emma Bigé
• A la recherche de nos histoires perdues – par Mathias Quéré
• Paris perverti : la carte du métropolitendre – par Val Bovey et Nagy Makhlouf
• Mémoires infectées et spectres du capital – par Cy Lecerf Maulpoix
Où le trouver ?
Ce nouveau numéro sera en vente à partir du 13 septembre dans notre boutique en ligne et dans les librairies (liste non-exhaustive).
[1] L’époque moderne construit une scientia sexualis à travers le discours médical. Il s’agit d’étudier les moindres aspects de l’humain pour en percer les mystères et les secrets. L’anatomie, les caractères sexuels, la sexualité sont observés, classifiés, passés au crible de l’examen (Foucault).
[2] L’homosexualité et les diverses variations de sexes, de genres et de sexualités comprises comme une catégorie criminelle, comme une attaque directe contre la société, comme le symptôme d’une essence criminelle.
[3] Bien qu’il existe divers précurseurs, nous pensons ici à Magnus Hirschfeld (et au Comité scientifique-humanitaire) qui développe la première véritable politique militante homosexuelle. Le mot « homosexuel » est une notion large désignant les innombrables variations de féminités chez les hommes, de masculinités chez les femmes et toutes les sexualités considérées comme divergentes, y compris les nombreux cas de travestisme (que nous qualifierions aujourd’hui de transgendérisme).
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