TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Quand nos désirs font désordre

Depuis sa première publication « Qui sème le vent récolte la tapette – Une histoire des Groupes de Libération Homosexuels en France de 1974 à 1979 » aux éditions tahin party en 2018, Mathias Quéré n’a eu de cesse, sous sa double casquette d’historien et de militant pédé, de faire connaitre les luttes, l’engagement et le militantisme d’une époque ou sexualité et politique s’indistinguait sous les rayons d’un horizon révolutionnaire. Avec l’ouvrage collectif « Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs – Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970 – 1990) sous la direction d’Hugo Bouvard, Ilana Eloit et Mathias Quéré, paru aux éditions La Dispute en 2023, la question du rapport entre politique et homosexualité s’approfondit à l’aune de sa prise en compte par les organisations, partis et syndicats d’extrême gauche. Se fait jour la place des lesbiennes au sein du mouvement homosexuel français qui a joué un rôle de force motrice et de boussole politique, mais également la place d’une mobilisation originale partout en France rompant avec la mythologisation du militantisme parisien.
« Quand nos désirs font désordre – Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986 » vient de paraitre aux éditions LUX et retrace l’apparition et le déploiement du militantisme politique homosexuel d’une génération s’acharnant à libérer les possibles et inventer une vie nouvelle.

L’apparition du premier GLH est tributaire du FHAR comme d’Arcadie. Si le point commun est le besoin de briser la solitude et de faire des rencontres, à la différence d’Arcadie, discrète et apolitique, ou du FHAR, scandaleux et très universitaire, le Groupe de Libération Homosexuel est fortement marqué par la matrice organisationnelle des marxistes d’extrême gauche dont sont issus la plupart de ses membres. Le vocabulaire est révélateur : se structurer – faire des assemblées générales – distribuer des tracts – créer des comités de quartiers – théoriser des tendances. On sent, à la lecture des témoignages, le besoin de se penser collectivement dans une situation politique générale.

Et très vite des GLH apparaissent partout. Dans toutes les grandes villes, des rendez-vous sont donnés, parfois par le biais des petites annonces. Le discours y est le plus souvent révolutionnaire. Les GLH se pensant comme une composante, une force du mouvement. C’est donc vers celui-ci que les recherches d’alliance se manifesteront. Si le travail militant est long pour que la gauche et l’extrême gauche se sensibilisent et rarement s’emparent des luttes et revendications homosexuelles, les relations avec le mouvement des femmes sont complexes. Si beaucoup de GLH sont solidaires du mouvement des femmes et mettent en avant leur mixité, la misogynie structurelle de l’époque n’épargne pas les homosexuels. Les lesbiennes qui quitteront le MLF préfèreront majoritairement former des GL, groupes lesbiens, quitte à se rapprocher de certains GLH par la suite.

Suivant l’actualité de chaque ville, de chaque GLH, les groupes s’orientent dans diverses dynamiques de luttes : anticarcérale, antipsychiatrique, antimilitariste ou anti-nucléaire, allant même jusqu’à présenter des candidats aux élections législatives de 1978. Mais très vite les dynamiques, reposant sur l’effort de quelques-uns, s’estompent. Les groupes tournent en rond.

L’entrée dans la nouvelle décennie s’accompagne de nouvelles publications nationales homosexuelles comme Le Gai Pied ou la revue Masques, mais également d’une démocratisation des lieux commerciaux spécialisés. Les bars et boîtes de nuit avec backrooms se multiplient.
Ce tournant marque aussi le besoin d’un encrage et d’une articulation plus formelle avec les autres groupes.

La naissance des UEH (université d’été homosexuelle) à Marseille en 1979, en plus de décentrer le mouvement de Paris, offre la possibilité de construire une nouvelle voie. C’est de là que naîtra le CUARH (comité d’urgence anti-répression homosexuelle). Initialement construit comme un arbre à téléphone permettant de réagir le plus vite possible au fait de répressions qui touchent toujours les homosexuels, celui-ci se développera jusqu’à devenir une force de pression sur les institutions et le monde politique avec des campagnes de sensibilisation, des présentations publiques, des brochures envoyées aux dirigeants politiques et syndicaux.
Après l’élection de François Mitterrand en 1981, les principales revendications du CUARH sont satisfaites. Si les groupes, autant lesbiens qu’homosexuels continuent d’exister, la manière de vivre le collectif change. La visibilité n’est plus celle d’affirmer une existence que la plupart des gens méconnaissent ou nient, mais de prendre sa place dans l’espace social à l’image des manifestations politiques se transformant en marches festives.

Si l’apparition du VIH bouleverse le militantisme homosexuel et vient transformer sa raison d’être et ses pratiques, le livre s’achève sur l’année 1987. Lors des UEH, un groupe réactionnaire Gaie France y tient un stand sans émouvoir la plupart des participant·es. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre.

Après lecture, les questions se bousculent, les ponts se dessinent. La stimulation de penser notre époque au regard de celle des GLH est un exercice passionnant qui met en lumière ce dont nous héritons en termes de luttes, de questionnements, de pratiques et parfois aussi d’impasses. Comment ne pas se reconnaître dans ce militantisme construit entre le groupe de personnes concerné·es, qui se retrouvent pour partager un vécu et se sentir plus fort, et un militantisme révolutionnaire cherchant à faire sauter les verrous de la société ? Ou encore le besoin de construire son identité comme on construit une pensée politique et dans laquelle la force de l’idéologie compense la faiblesse du nombre.
L’histoire du militantisme homosexuel et lesbien doit nourrir la manière dont nous cherchons à intervenir dans la situation politique aujourd’hui. Alors qu’il existe des lieux de sociabilités, comme les centres LGBT+, des établissements commerciaux, des applications de rencontres, des groupes de travail sur les questions minoritaires dans chaque partis politiques et organisations syndicales, posons-nous la question de savoir à quelle politique contribuons-nous et est-ce bien la nôtre ?
Entre le slogan de mai 68 « le personnel est politique » et les revendications actuelles de nouveaux droits, force est de constater que l’on est passé d’une situation politique où l’affirmation et la visibilité homosexuelle interrogeaient tout un chacun sur le monde dans lequel on vit, à une politique comme processus étatique finançant campagnes et réformes. Si le militantisme homosexuel a toujours contenu ces deux aspects, l’apolitisme et même l’instrumentalisation de l’homosexualité aujourd’hui doit nous faire comprendre à quelle politique nous contribuons et de quel monde sommes-nous porteur·euse·s. Le précieux travail de Mathias Quéré contribue largement à y répondre.

Militantisme
Groupe de Libération Homosexuelle (GLH)
Une sexualité au service de la normalité

« La misère sexuelle existante inhibe l’enfant puis l’adulte de toute activité créatrice »

Bordel ! - par Alain Burosse
Récit -

28 février 2022

Alain Burosse

Récit de la lutte homosexuelle des années 70 au travers des souvenirs d’Alain Burosse.