TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Quand la ville bande

Dans « Quand la ville bande », Lazare Lazarus nous raconte l’histoire de deux énergumènes sillonnant le jardin des Tuileries, entre défonce et jouissance, à la recherche d’une "drague entre copains". C’est la première fois que nous publions une nouvelle dans Trou Noir, et cette première fois nous comble de joie.

Avec Janis, on forme un joli couple de putes. On voyage à travers la France pour accueillir les clients dans nos donjons improvisés - des locations transformées en bordel pour quelques jours.

Notre truc, c’est la domination, aussi bien physique que cérébrale. La plupart de nos clients sont des soumis, des masochistes, ils viennent nous voir pour des sessions d’une heure ou d’une nuit. On explore avec eux des jardins de douleur et d’amour, d’urine et de sang, de tendresse et de merde, on sillonne ensemble des forêts aux limites incertaines, des sentiers qui bifurquent sur des massifs lointains, où s’élèvent des palais de désir et des châteaux en ruine, des serres étincelantes entourées de villas effondrées. Les contours de nos expéditions sont souvent flous, les chemins ne sont jamais balisés. On doit se repérer sans carte ni boussole et se fier à notre intuition. On frôle parfois des ravins, des précipices, et on découvre dans des landes arides des vestiges enfouis sous les pleurs. Nos clients se mettent alors à trembler, et viennent se consoler dans nos bras accueillants.

La plupart du temps, on travaille seul, chacun de notre côté, mais l’autre fois, à Lille, on a reçu un maso pour le dominer ensemble. Nos gestes s’accordaient avec évidence, ils s’articulaient et se répondaient à la façon d’une partition. Nos lignes mélodiques, bien que distinctes, se superposaient comme une polyphonie. Tandis que je serrais son cou avec mon avant-bras, et que je contrôlais sa respiration à l’aide de mon poing enfoncé sur son visage, tout en comprimant son thorax avec le poids de mon corps, Janis lui cognait la bite et les couilles jusqu’à le faire jouir.

Le lendemain, un client est venu avec une demande plus particulière. Il voulait qu’on se moque de la taille de sa bite, qu’on la rende risible et ridicule. Il portait fièrement une cage de chasteté qui écrasait lourdement sa verge, dans l’espoir qu’à force d’être compressée elle puisse rétrécir. On l’a enduite du gel hydro-alcoolique qu’il avait apporté, avant de malmener sa bite brulante et désinfectée à coups de pieds, pour finalement prendre le thé tous ensemble à se parler de nos vies comme des vieux copains.

Janis est une pute passionnée. Appliqué comme un ecclésiastique, il ne compte pas les heures passées avec ses soumis. Il aime donner du plaisir, et sait s’adapter aux désirs les plus saugrenus. Sa perversité est immense. Quand il ne travaille pas, il invite des mecs pour des tunnels de baise de plusieurs jours, ou sort en ville pour draguer des nuits entières dans les parcs et jardins. C’est un ogre solitaire et déclassé, maladroit et triste, capable d’ouvrir des mondes de démesure et de permission, des villes de fantasmes bordés de rivages abandonnés, des décharges endormies sur des champs d’amour et des chapelles lumineuses sur des terres libidinales, où l’on vient se recueillir, se réconcilier dans la ferveur du soir, et bander dans la prière.

L’aventure que je vais vous raconter commence à Paris, rue Notre-Dame de Nazareth, dans un immense duplex réaménagé en maison close. J’arrivais depuis Marseille, porté par l’été et l’excitation de rejoindre Janis. Quand j’entre dans le palais, il était déjà au travail, en pleine session fist dans l’une des chambres, tandis qu’un gars, assis dans le salon, attendait son tour. Dans un désordre de seringues, de chaînes, de pince-tétons, de martinets et de pots de lubrifiant, trônant sur une bibliothèque en trompe l’œil, je remarque un bidon d’un litre de GHB et une bite en silicone à la taille monstrueuse.

Tous ces accessoires étaient un monde encore inconnu pour moi. Dans mon sac, j’avais juste apporté mes cannes en bois et quatre cordes. Je sentais que ce voyage allait être initiatique.

Le lendemain aprem, Janis me propose un Slam de 3MMC. C’est une première pour moi. Dans notre travail, beaucoup de clients nous demandent de les injecter et de gérer leur consommation à leur place. Je voulais qu’il m’apprenne. Il me montre avec parcimonie toutes les étapes, du mélange de la poudre dans la coupelle jusqu’à la façon d’orienter le biseau de la seringue pour viser la veine. La défonce vient instantanément, je sens mon corps vague se dissoudre et pétiller comme un cachet effervescent. Je m’allonge sur le lit et observe religieusement Janis s’injecter à son tour.

Il ouvre l’ordi pour m’inviter dans ses chambres virtuelles, un espace où des mecs, tous perchés, s’exhibent devant leur cam. Je suis absorbé par ces corps hallucinés, cette famille de branleurs cosmopolites, reliés les uns aux autres comme une constellation qui flotte dans la nuit du web. Toujours devant l’écran qui nous regarde, Janis sort sa corde, pour l’enrouler avec dévotion autour de mes couilles, de ma bite molle et mouillée, je sens qu’elle déborde et se détache de mon corps, lourde et saillante, capturée sur la toile.

Quelques jours plus tard, avant de quitter Paris pour rejoindre Lille, on décide de passer la nuit au jardin des Tuileries. Janis portait son poids d’un kilo attaché aux couilles, qu’on voyait vivement dépasser et bouger à travers son jogging quand il marchait. Sur le parvis minéral du Louvre, notre route sonnait comme une procession grave et silencieuse.

On arrive au jardin, et s’engouffre progressivement dans un labyrinthe de haies taillées en rectangles, bordées par des rangées de colonnes blanches et des façades aux fenêtres closes et impénétrables. Les massifs de tilleuls sont ordonnés en topiaires, et forment un paysage géométrique, contraignant les corps dans une perspective froide et sans émotion. Pourtant, c’est bien là qu’on défile pour décharger face à la pyramide de verre, qu’on s’aime et s’encule au bord de la nuit pour ouvrir d’autres mondes à venir.

C’est un véritable écosystème d’ifs et de boue, de salive et de foutre, se déployant en miroir sur deux parties, et reliées par l’arc de triomphe du Carrousel. Par endroit, des escaliers mènent à des sous-sols, des alcôves souterraines qui, de loin, apparaissent comme des trous noirs opaques, des tunnels vers des enfers incertains. Dans l’obscurité, on doit s’approcher des mecs pour les distinguer, on s’engage à l’aveugle et on se fiance. Pour se lier à la nuit, on boit le G dans une bouteille d’Orangina, et avale les paras de 3, avant de s’aventurer sous terre pour entrer dans la noce. J’observe Janis se faire niquer bareback par une communion de bourgeois et de clochards, reliés par la même passion du foutre, venus déverser ce soir un torrent de tristesse dans le cul consolant de Janis, cambré sur le mur comme une mater dolorosa.

Tandis que je regardais la scène avec attention, un gars déboule brusquement de l’escalier, pour me foutre des baffes et me cracher au visage. Ses tentatives de me dominer, bien que maladroites, me fout le barreau direct. Il gémit en boucle des ’ah’ et des ’hein’ idiots, en frottant frénétiquement son entrejambe gonflé contre ma joue. Sa bite bête et baveuse, longue et pale, m’excite. Je la glisse toute crue entre les lèvres, dure comme un os, ronde comme une carpe, et je sens ses beaux yeux stupides me fixer avec l’insolence et la douceur d’un enfant.

La ville bande.

Les façades massives du palais du Louvre cadrent nos scènes comme un décor de théâtre. J’aperçois le haut des colonnes, orné de feuilles d’oliviers, et surmontés d’oves et de volutes, des frises de rameaux de chênes et de lauriers, des festons de fruits sur des puttis célestes, décorés de fleurs de lis au feuillage qui prolifèrent, et des rangées de Caryatides sur des colonnes en marbre rouge griotte. Dans les tympans surgissent des têtes de faunes et de faunesses nouées à des oliviers, la tête de Diane cerclée par des lions et des satyres aux barbes d’acanthes entrelacées. Sur les murs, je devine des bandeaux organiques recouverts de pores et d’alvéoles, comme si des vers avaient travaillé la pierre.

Derrière les baies opaques, j’imagine les tableaux se succéder dans les couloirs du musée, comme des fenêtres ouvertes sur des collines tendres bordées de massifs bleu-vert, sur des villes blanches et des citadelles qui fument, sur des falaises abruptes où apparaissent des visages d’ermites et de vieillards.

Dans notre jardin à nous, les clairières, les demis chemins, les coins, les angles, la distribution des sous sols et leur profondeur se prolongent depuis nos corps ravis. La drogue monte. J’avance les yeux fermés, porté par un sentiment d’étrange familiarité, comme si je connaissais cet endroit depuis toujours.

On s’enfonce dans le Carrousel du Louvre. Sur les escaliers, Janis sort son matériel pour s’injecter de la 3, puis s’encorde le corps devant les caméras qui nous surveillent. Il enroule la corde autour de ses couilles et forme un système de nœuds complexes qui coulissent entre son ventre, sa bite et sa nuque. Immobile, capturé dans son propre piège, le corps tendu dans la lumière striée du grillage, les yeux concentrés, Janis est au bord de l’extase devant les quelques spectateurs intrigués. Il propose de m’encorder à mon tour mais, réalisant notre défonce, on décide de remettre ça à plus tard. Cette entente tacite nous liait davantage.

C’est déjà l’aurore, le jardin s’éclaire sur un ciel diaphane et flou, encore chargé des promesses de la nuit. Dans la lumière vague, nos corps évanescents pétillent joyeux sur le palais du Louvre, le long des coursives fleurdelisés et des modillons à tête de faune que soutiennent les corniches. Je trique fort dans mon short rouge, prêt à bondir sur les moulures cannelées des architraves et sur les pilastres qui débordent des murs.

Pour prendre de la hauteur, j’accède au centre du labyrinthe et grimpe à un tilleul. Les jambes enrobées autour d’une branche, le corps allongé en surplomb, j’observe de haut les garçons nichés dans les coins qui se draguent et, plus loin, la ville basculer dans le jour, les premiers travailleurs s’activer, j’imagine des odeurs de lessive, de café et de foutre de la veille coincés dans leurs habits propres.

Un gars s’approche de l’arbre, avec des yeux obscènes et la mine délirante, le survêt chargé de branle. Il lève le bras pour atteindre mon cul et me foutre des doigts, tandis qu’il se touche le paquet tendu sur le tilleul. J’aime ce qu’il fait, je balance mon cul en équilibre pour l’aider. Je regarde sa main brutale et décidée presser le paquet de son froc sale tandis qu’il enfonce ses doigts plus profondément dans mon cul. Je devine dans son slip sa bite serrée, humide et hallucinée au bord de l’orgasme qui goutte à travers son jogging raidi sur le tronc. Je sens ses doigts plein de ville et de nuit se répandre en moi, couler sur mon corps de tilleul, ils creusent des grottes de fougères et ruissèlent comme des fontaines, intarissables. Puis, brusquement, il sort sa bite pour décharger en grognant des jets de foutre sur l’écorce avant de disparaître.

Les rayons du soleil traversent les haies, et jettent ça et là dans les coins des tiges de lumière chaude pour éblouir le visage des derniers branleurs.

Au bout d’une allée, dressé seul au dessus des topiaires, un mec me regarde, immobile. Je descends de l’arbre pour me joindre à son jeu nuptial. Ses yeux humides et joyeux coulent sur mon visage. Il sort de sa poche une petite brosse en bois pour me caresser la barbe. Je voudrais qu’il m’épouse. Je glisse ma main dans son jean, et découvre un lourd morceau soyeux et mou, épais et massif, que j apporte à ma bouche heureuse et fatiguée, éclairée par le soleil jaune qui grossit.

Les façades du Louvre, dures et blanches, se détachent du bleu du ciel, et déroulent ses grands frontons triangulaires et cintrés au dessus des travées. Nos corps radieux débordent sur la ville estivale.

Dans la transparence d’une haie, j’aperçois Janis qui avait disparu depuis la scène du Carrousel. Il me jette un sourire complice. Je viens à lui, et le défroque pour engouffrer sa bite douce et solaire qui glisse au fond de ma gorge comme un galet chaud. A l’instant même où je m’appliquais à genoux dans mon carré d’ifs et de soleil, un groupe de huit policiers surgisse soudainement de nul part pour nous encercler. Je mets quelques secondes à réaliser leur présence, encore absorbé par la bite matinale de Janis. Plongé dans le labyrinthe, j’oubliais le monde extérieur, la bienséance, la capitale, les bandes de touristes et de familles à poussettes qui inonderont bientôt les quais et les trottoirs.

Les policiers nous demandent ce qu’on fait, à quoi Janis leur réponds, calmement, qu’on se drague entre copains, que c’est notre façon à nous de nous séduire et qu’il n’y a pas de mal à ça. En contrôlant nos identités, ils nous rappellent les règles de la pudeur sur l’espace public, que des enfants pourraient nous voir. Ils nous demandent de vider nos sacs. Ils découvrent alors tout notre attirail de la nuit se répandre sur le sol, un bordel d’aiguilles, de seringues, les flacons de G, les pochons de 3, et nos corde blanches pleine de pisse. Ils nous interrogent sur l’usage de ce matériel qu’ils ne semblaient pas connaître. Janis leur explique, d’un ton posé, qu’on utilise les cordes pour la pratique du bondage et que la 3 et le G sont des stimulants sexuels, fréquemment consommés dans nos milieux.

Je me voyais passer la journée au poste, ils nous ont pourtant laissé partir comme si, à force de patrouiller tous les matins pour chasser les branleurs et fermer la nuit dernière eux, ils finissaient par faire parti du jeu.

La ville se dilate sur nos corps défoncés sur le trottoir chaud. On s’écarte des enceintes du Louvre, pour gagner la rue de Rivoli. J’attrape amoureusement le bras de Janis, il me raconte son cul encore rempli du foutre des gars de la nuit. On se dirige vers la gare, notre train pour Lille est dans quelques heures et les clients nous attendent déjà.

Lazare Lazarus.
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Titre :"banlieue parisienne" (50x65cm, encre de chine, 2019).
Poésies
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