TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Lionel Soukaz (1953-2025), clin d’oeil à la caméra

"Maman j’ai peur. Tu voulais pas que je fasse du cinéma. Tu voulais que je sois professeur, à cause des vacances. Tu pensais que c’était pas un monde pour moi le cinéma, un truc de fils de riches... un rêve d’enfant." Ainsi s’ouvrait le beau film Maman que man que réalisa Lionel Soukaz en 1982. Nous avons appris sa mort cette semaine. On dit qu’il est mort pendant son sommeil. Nous tenons, avec Trou Noir, à lui faire un clin d’œil.
Lionel a fait des films mineurs, au sens grand et révolutionnaire du terme, c’est-à-dire pas des films de maîtres. Avec ses caméras, super 8, cassettes ou numériques, il a traversé plusieurs décennies en mouvement, accompagné plusieurs manifestations militantes, et réalisé un impressionnant journal filmé, et on comprenait alors que, ses amitiés étaient son centre de gravité.
Dans cet article, nous relayons un court texte en son hommage, écrit par des proches qui font vivre LeSouk Collective. Nous les remercions pour leur confiance. Puis, en toute fin, vous pourrez découvrir une vidéo émouvante, un cinématon que lui avait consacré le cinéaste Gérard Courant.

Cinéaste radical, expérimental et militant, Lionel Soukaz (1953-2025) est mort dans son sommeil, le 4 février 2025 à Marseille. Il a accompagné cinquante ans de luttes homosexuelles, anti-impérialistes, anti-capitalistes en faveur des opprimé.e.s et marginalisé.e.s (séropos, trans, immigrés…) dont il a documenté les combats.
À 18 ans il se lie, en effet, à l’expérience du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, fondé en 1971) et il réalise ses premiers films en 16mm et Super 8, mêlant rage militante et joie hédoniste. Remarqué en 1978-1979 pour un important documentaire retraçant un siècle d’histoire de l’homosexualité, Race d’Ep, conçu avec Guy Hocquenghem, Lionel Soukaz se heurte plusieurs fois à la censure. Il entreprend de la combattre et multiplie transgressions et subversions filmiques. Ses propos dérangent (l’homosexualité est alors pénalisée) et ses images sont parfois crues (sexe explicite, par exemple dans Le sexe des anges, 1977) ou délibérément provocatrices (Ixe, 1980).
Après avoir accédé aux voies du cinéma financé et distribué en salles (Maman que man, 1982 primé en 1984), il s’empresse de renouer avec la liberté que lui donnent ses moyens autonomes.
Dans les années suivantes, l’épidémie de SIDA frappe. Ses amants et amis meurent : la communauté est décimée, les malades abandonné.e.s. Lui-même séropositif, il devient, avec sa caméra, le chroniqueur et le mémorialiste de ce désastre aussi bien que des luttes politiques et de la vitalité qui lui résistent. Ce journal filmé (Journal Annales, 1991-2014), chant d’amour, de désir et de fureur, composé de milliers d’heures, est à présent déposé et conservé à la Bibliothèque Nationale de France où il est en partie consultable.
Au tournant des années 2000, Lionel Soukaz devient une source d’inspiration pour une nouvelle génération de cinéastes expérimentaux, et trouve un nouveau souffle créateur. Celui-ci se déploie dans des essais impudiques, sensuels et pornos, comme www. webcam (2005) et dans des pamphlets où l’invention se conjugue avec l’ironie dans une détestation intransigeante du racisme, du fascisme et de toutes les formes de répression (par exemple en 2002 : Texas Chainsaw Political Massacre, I Live in a Bush World). Les Archives Françaises du Film restaurent ses long-métrages. En 2016, l’Anthology Film Archives de New York lui consacre une rétrospective, « Lionel Soukaz : a queer avant-garde pionneer. ».
Créateur d’installations multi-écrans depuis Ixe, Lionel Soukaz renoue avec cette veine à l’occasion de sa rencontre en 2009 avec le cinéaste et historien des luttes Stéphane Gérard. Leur complicité donne lieu à des films de montage à quatre mains qui travaillent l’immense matière du Journal Annales, présentés dans des institutions culturelles (MUCEM, Palais de Tokyo, Cinémathèque Royale de Belgique …). Les films-installations En corps + (2022) et Artistes en Zone Troublée (2023), ont été leurs deux dernières collaborations diffusées.
Aussi fermement intraitable que tendre et drôle, Lionel Soukaz se tenait au centre d’une constellation d’ami⸱e⸱s, de poéte⸱sse⸱s, de militant⸱e⸱s, de penseur⸱euse⸱s. Parmi elles et eux, il fut un cinéaste à la première personne d’une vie libre, à la marge de la société mais au centre des luttes et des désirs.

LeSouk Collective.

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