Viennent de paraître en librairie les "Anthologie douteuses (2010-2020)", un voyage de dix années de poèmes brûlants imprimés sur des A5 ou A6 agrafés et distribués sous le manteau pendant des soirées entre deux bières. Cette anthologie est accompagnée d’une préface de l’écrivaine Anne Pauly.
Voici une lecture de ce voyage textuel.
Élodie Petit et Marguerin Le Louvier publient chez Rotolux Press Anthologie Douteuses à la couverture tape à l’œil : rose vive, tendance malabar fraise, avec surimpression du titre et du noms des auteur.e.s teinte argent. À l’arrière-plan, en noir sur rose, un texte manifeste, qui se clôt sur ces quelques fragments : « être expérimental·e / et vulnérable / et hypersensible / offrir / habiter les marges / baiser ».
Cette couverture donne le ton de ce livre qui tombe à pic. À vrai dire, ça fait quelques temps qu’on a envie de lire dans la poésie contemporaine française un peu plus de transpiration, un peu plus de Patricia Kaas, un peu plus de corps mêlés et de « se réapproprier sa chatte / en subculture / et émancipation » (p. 219). L’Anthologie douteuses, qui se déploie dans une constellation queer radicale/expérimentale, fait avant tout l’éloge des choses qui se mêlent, et c’est l’une de ses grandes forces.
Des corps d’abord qui se mêlent, corps aux identités multiples, parfois indéfinies ou fluctuantes, parfois plus affirmées. Corps extraits du monde médiatiques, corps de cinéma, ou corps intimes. Et ces corps, ils sont vivants, affamés, plein d’un désir de vivre puissant : ils baisent, s’excitent, se retrouvent fugaces, ou pour un moment plus long, ils sont violentés et souffrent. Parfois, comme beaucoup de corps, ils doivent s’habiller entrer dans le rer et partir travailler. Ces corps sont pris dans des mouvements contraires, qui sont évoqués assez parfaitement dans le texte « Où leurs bouches contre leurs paumes » : « elles descendent du sommet de leurs tours / fouler le sol communal / apporter paillettes et lumières à nouveaux sur les fronts / leurs ailes déployées en joie démentielle / se mettent à faire l’amour et à baiser dans les coins mousseux / le béton doux / Les bancs séparés / fêter les culottes trempées / démonter chaque caméra et chaque lunette de contrôle / déplacer l’intimité au public » (p.213).
Dans tous les cas, cet usage du sexe s’énonce comme un geste politique. Ce sont les corps qui se libèrent des injonctions variées, qui inventent leur propre histoire et géographie, comme une façon d’arracher quelques nuits, quelques soirées ou journée sans stores ouverts au pouvoir. Il y a quelque fois des moments de joies pures, lorsque les corps réciproques sont pris dans des draps, dans des plaisirs. Le texte « Grande crue » par exemple, par les rythmes et la façon dont les mots suivent le corps, le moindre de ses frémissements s’impose comme un moment très fort : « Je quitte bouche pour baver le long de ton long / ma main à ta hanche serre ta chair sur l’os / j’amène ton bassin au niveau de ma langue en salive / lèche sur ta culotte ta fente en chair / mordille la peau sous tissus, / tu spasmes / je mets mes doigts là / et te pénètre tandis qu’il ne fait presque plus nuit » (p. 220).
Au-delà de ces corps, les registres linguistiques aussi se mêlent. Elodie Petit et Marguerin Le Louvier s’opposent d’emblée à toute forme de snobisme culturel et la démonstration est extrêmement convaincante. Elle passe par l’humour, la théorie, l’outrance : on se régale avec les « Poèmes amoureux de Patricia Kaas » (p. 47-50), on prend plaisir à suivre une vie possible de Jack Lang dans « Va t’faire baise ailleurs, Jack Lang » (p. 57-60) on assiste à « Stupre, Arthur Rimbaud la gouine » (p. 253-257), on est tout à fait convaincu par l’analyse des comédies sentimentales sous le prisme du genre : « Les lois fondamentales de la biologie » (p. 237), on rit fort devant « homosexualité et civilisation extra-terrestre » (p. 169-172). Quelques présences amicales passent aussi leurs visages par la fenêtre : Michel Foucault, Donna Haraway, Didier Eribon. À certains moments, surgissent comme des précipités biographiques, ainsi le texte « On ne sait plus pourquoi on vit et ça dérape », (p. 91-95), qui rattache par une certaine forme de quotidien (non sans sarcasme) l’anthologie dans le réel.
Il est beau ce livre, il est généreux et déborde, comme la bière dans un verre en plastique à l’heure de la fermeture des bars. Tous les mots de l’Anthologie Douteuses se heurtent et se cognent dans une joie amoureuse changeante, vulgaire et révoltée, à l’image de deux peaux qui se découvriraient.
Maxime Morel.
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