Le Club de Bridge, que nous avons virtuellement rencontré au cours d’une balade sur les réseaux sociaux, nous fait cette proposition d’errance dans le genre à travers des mots et des dessins de leur cru. Il s’agit d’une étape sur les façons de tenir ou pas au définitions pronominales.
Les pronoms sont des outils incroyables pour l’affirmation des identités queer. Ils permettent de démultiplier les genres et leurs expressions. Mais malheureusement, au Club de Bridge, on nage en plein flou. Tous les pronoms nous semblent trop axés sur l’affirmation d’une expression de genre, alors que notre désir queer tend justement vers l’affirmation d’une fluidité, qui ne peut pas être fixée par un pronom défini.
On a l’impression de pouvoir porter tous les pronoms, et en même temps de n’en tolérer aucun. Et sans doute que cette difficulté vient du fait de nous marchons tous les jours à travers le spectre du genre, et que notre singularité s’élabore en premier lieu dans la pluralité de nos expressions. Dans la pluralité d’un « JE », qui ne coïncide pas à lui-même. Un singulier pluriel qui nous questionne profondément, mais semble aussi questionner celleux qu’on voudrait rejoindre pour trouver tendresse et puissance.
Car la fluidité semble de moins en moins tolérée dans une communauté queer ou la légitimité militante devient souvent le corollaire d’une affirmation identitaire. La pensée fluide est rejetée au profit de la construction d’individualités « saisissables ». Peu à peu le spectre du genre se morcelle en territoires aux contours définis et tissés entre eux par une diplomatie fine et périlleuse. Dans leurs interstices, mis à la marge, les expressions précaires, errantes, les identités brouillonnes, illisibles, persistent.
Toutes ces identités fugaces, toutes ces tentatives qui composent notre existence fluide, au Club de Bridge nous avons décidé de les accueillir sous un pronom indéfini et pluriel, le « ON ». C’est un pronom qui déploie sous lui un réseau d’expérimentation, de création et d’hospitalité. Un « ON » qui donne matière à notre interstice et à cette masse informe qui l’habite. Dire « ON », c’est s’indéfinir. On s’indécide dans nos définitions pour se donner à l’infini. S’indéfinir, c’est refuser de se faire « finir », coincé.es entre quatre murs. C’est rester insaisissable, par les autres comme par nous-même. Dire « ON » c’est se laver constamment des traces du « JE » qu’on jouait avant, c’est se désidentifier.
Cette perspective se pose en critique face à un pragmatisme territorial qui prend ancrage dans la communauté queer. Aujourd’hui, une conception répandue fait des identités queer un ensemble morcelé de propriétés privées. Les logiques d’appartenance -et donc d’exclusion-, les discours sur l’appropriation du queer, érigent des frontières claires qui restreignent les passages et condamnent les errant.es à une sédentarisation forcée. Cette privatisation des paysages queer, en plus de renseignernotre incapacité à développer des pratiques queer et anticapitalistes, obstrue l’horizon de la fluidité.
La réponse du « ON », c’est de se prononcer comme un espace d’accueil. Contrairement aux autres pronoms définis et privatifs, « ON » vient questionneren profondeur la construction des subjectivités queer. La fluidité qu’il autorise détient en puissance la possibilité de sedésindividualiser. En partant du principe que l’altérité se base sur un rapport d’égalité, et que les existences sont faites de fluidité, « ON » nous autorise à ouvrir les portes du « soi » à d’autres, en acceptant radicalement que c’est l’autre qui nous constitue. Dire « ON », c’est pouvoir aller errer chez l’autre, et laisser l’autre venir errer en soi.
S’indéfinir dans la pluralitédu « ON », c’est déjà révéler des pratiques policières qui germent aux frontières des genres, qui questionnent légitimités et authenticités. C’est rejoindre le « ON » des errant.es condamné.es aux frontières du queer, et graver aux pieds de leurs murs : « à quel point ressemblons-nous désormais à nos ennemi.es ? ».
Texte et illustrations : Club de Bridge
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