TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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28 jours - (Nique la) Préface Collective

28 jours est le premier roman d’un écrivant pédé fabriqué à la fin des années 2010 au moment où il prend un traitement post-exposition VIH. Ce texte explore les sexualités pédées, la question du SIda, de la vie urbaine, du sexe, de l’assimilation des minorités dans le monde contemporain à l’ère post-sida en Occident dans un style romanesque brut, sans cesse à la limite de la poésie. 28 jours ouvre un cycle d’écriture contemporaine et collective (Fatou S., L. Juniper, L. Bertrand…) portée par les éditions Terrasses en 2021.
Dans l’ensemble qui suit, nous avons rassemblé la parole de camarades, que leur mots, leurs tripes et leurs fonds et formes puissent investir l’espace de la préface. Radicalement occupée par les sachant.e.s, par les validé.e.s de l’institution, ce petit territoire du livre, nous allons le rendre au reste du monde, un monde qui ne dit pas son nom et ne revendique ni désir de projecteur, ni une place sur un podium, juste une volonté que ses choix, ses phrases, ses souffles existent parmi ceux des autres.

1- Au début, il y a la peste. On méconnaît encore le lieu et la date exacte de son apparition. On imagine que vers 1920, en Afrique Centrale ou de l’Ouest, un virus simien aurait muté et, traversant les barrières entre les espèces, aurait contaminé les hommes. Un singe aurait probablement mordu un chasseur de viande de brousse, lequel aurait été vacciné dans un hôpital de Léopoldville avec des seringues mal stérilisées, lesquelles auraient été utilisées avec d’autres personnes, lesquelles auraient remonté le fleuve Congo jusqu’à la côte Atlantique. Grâce aux progrès des transports, le virus est parvenu vers 1960 à Haïti. Au début des années 1970, il a atterri en Amérique du Nord et débarqué en Europe, dans le sang, les muqueuses et le sperme d’un marin norvégien ou peut-être d’un steward canadien, qui aurait eu plus de 2500 rapports sexuels avec d’autres hommes qui auraient eu plus de 2500 rapports avec d’autres hommes qui auraient eu plus de 2500 rapports avec d’autres hommes. La communauté homosexuelle naissante a été décimée ; les utilisateurs de drogues injectables, les patients transfusés et les travailleuses du sexe aussi. On parlait des maladies des quatre h(aches) : Haïtiens, homosexuels, hémophiles, héroïnomanes. On parlait aussi de cancer gay, de peste rose.

2- Au début, alors, il a la terreur : la terreur de contracter la peste. Cette terreur a frappé les hommes attirés par d’autres hommes qui ont découvert leur sexualité entre les années 1980 et 2000. Au début, il n’y avait pas de traitement. Être contaminé par le VIH revenait à signer son certificat de décès. Cette terreur a transformé de fond en comble les pratiques sexuelles, traçant une ligne entre le safe sexe et le sexe à risque. Le sperme est devenu un fluide qui donnait la mort, et le rectum, une tombe.

3- Au début, aussi, il y a la science. En 1983, on découvre le virus à l’institut Pasteur (à cette époque l’institut Pasteur avait une existence). On lui a donné un nom passablement laid : VIH. On a mis au point les premiers tests de diagnostic sérologique. On a essayé des médicaments qui étaient parfois plus pernicieux que la maladie elle-même, avec des effets secondaires très lourds, parfois dévastateurs. Comme toujours, la science a fait des progrès et les laboratoires ont centuplé leurs chiffres d’affaires. Vers le milieu des années 1996, on a associé plusieurs molécules qui bloquaient la multiplication du virus, mais ne parvenaient pas à l’éradiquer complètement de l’organisme. Mais c’était déjà pas mal. Maladie mortelle, le VIH est devenu une maladie chronique, comme le diabète, l’asthme ou le cholestérol. On a oublié, on a tourné la page et on est passé à une autre peste.

4- A l’origine de 28 jours, il y a la peste, la terreur et la science. Après une nuit fauve, le protagoniste se rend aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine pour demander un TPE, un « traitement post-exposition ». Cette petite pilule, ingurgitée tous les matins ou soirs pendant vingt-huit jours, évite la contamination aux séronégatifs ayant été exposés au virus. 28 jours est le journal de cette expérience qui noue le sexe et l’amour, les voyages et l’amitié, la politique et la littérature.

5- La où il y a une peste, il y a toujours une histoire à raconter pour se distraire, pour ne pas oublier et pour tromper la mort qui vient nous chercher. En suivant les traces d’Hervé Guibert, Cyril Collard ou Guillaume Dustan, L. Bigòrra raconte la sienne. Mais cette fois, ce n ‘est pas l’auto-bio-patho-graphie de quelqu’un frappé par un mal incurable, qui décrirait la proximité inexorable de la fin. 28 jours donne la parole à des séronégatifs, au moment où l’on trouve un traitement préventif qui permet de rêver de nouveau, sans craintes, de la backroom à ciel ouvert.

(Etc.…)

*

C’est un pays
Le journal d’une fugue
Des vertiges à sucer

C’est un récit
Une fuite en avant
Où tu te jettes comme d’autres sautent d’un pont

Une esthétique de l’errance,
une esthétique de l’erreur,
une esthétique de la marge,

la déroute d’une bite avec un mec autour.

Corps chauds, bouche froide
Tu cumules,
les séances de baises en enfilade, successions de petites morts, dans lesquelles tu dérives jusqu’au bout du décompte
28 jours et puis ?

La mort de l’innocence, la mort de l’enfance,
Le trop plein intérieur qui déborde et crève la surface,
Sa langue à lui qui mord le mot
Sa langue à lui qui tord la phrase
Sa langue qui lèche jusqu’à la dernière fibre de l’intime
Sa langue dans LA langue
Il écrit comme d’autres lancent des couteaux

Il essore son cœur dans ton cul
Ses cris dans ta gorge
Sa peur dans ton ventre
C’est doux mais c’est vicié, tu comprends pas, c’est tendre et ça te tue à petit feu ;
l’existence, les sensations de vie, c’est jaillir d’un coup et puis passer le temps qui reste à mourir,
En combien d’années tu parviens à crever,
C’est pas un détail,

alors tu prends le texte, tu t’y confrontes, l’index trempé tu tournes les pages, rebaisé peut-être mais tu le sais pas,
Tu prends le texte,
et en dedans ,
soudain,
c’est tout comme rouler en caisse et appuyer à fond sur l’accélérateur,
rouler,
toujours errer,
toujours plus fort et toujours plus vite,
jusqu’à ce que les cadavres d’insectes giclent sur ton pare-brise.

Il dit la liberté se gagne dans l’anarchie, la liberté c’est l’histoire dans l’histoire, la liberté c’est s’affranchir de la peur

Puis en toi ça palpite, le soulèvement est viral, enfin tu peux l’embrasser tu peux en jouir tu peux
TOUT ACCUEILLIR,
Le tourbillon de vulnérabilités,
les rencontres avides,
l’ennui,
l’amour-la crasse,
la grande mélasse de trébuchements,
les questionnements,
la grâce,
Le coup de feu est tiré.

*

Une procession flamboyante de branleurs
Brûle comme un brasier idiot
Les bouquets de braguettes tendres
Et brillent dans la nuit chaude
Les corps botaniques.
Des oiseaux perchés, Créteil Amazone. Toundra Val de Marne.

Ta bouche crevée de lumière dure
Avale joyeuse les rues humides
Le bitume chaud
Et renverse intarissable le pli creux des boulevards.
Les corps, nos corps aimaient ce territoire conquis à la sueur du cul et de la bite.

Ta bite des décombres
Insolente de verdeur
Déborde friable des périphéries
Et projette des îles plein soleil de calcaire dur
Où brûlent les clématites
Les saillies de rocaille blanche.
Les corps sont lourds, les bites sont dures, le désir ne s’arrête jamais.

Tu bandes comme les fleurs sont fragiles
Sur les pans de murs en ruine
Dans l’odeur végétale des lisières.
La marge, allonge toi dans la marge et sèche. Désir et pyramide.

Sur le plan dépliant tes désirs
Les talus les palissades
Les traînées de banlieue résidentielle
Obstinée profuse ta bite
Des lieux vagues
Pour des romances nouvelles.
Faut bander sinon à quoi bon lutter ?

Tu erres estival
D’arbuste en asphalte
Entre les lotissements les palmiers
Pour déplier le territoire
Tracer les repères d’une ville souterraine
Mélanger nos salives dans les herbes folles
Les ripisylves les clôtures
Se branler de partout
Là où ça sent l’humide et la ruine
Les ailantes et la pisse
Ta bouche submersible un paradis.
On a avancé comme ça dans l’univers, la main dans le pantalon.

Tu bandes dur dans la broussaille
Les massifs de foutre parfumé
Les palais de banlieues
Buffalo Grill ton cul
Bouleversante ta bite
Ville fleurie 4 étoiles
Sur le mamelon herbeux du rond-point
Un royaume de pelouse rase.
Je sais plus comment être un pédé qui encule.

*

Entre devoir, nécessité et jet
dans cette nouvelle faille théorico-politique qu’on peut ENFIN tenir dans nos mains

Seule la poésie peut imposer
sexe-drogue-folie contemporaine
Au raisonnement qui fait sortir de l’ombre

Seule elle casse les lectures qui sommeillent au plus profond des cellules viriles qui inonde mon tissu mâle

ENFIN
comprendre non pas le goût d’une bite
mais le sens d’un nouveau paradigme qui peut sauver

S’en charger, par le style,
comme on charge sa tête
Chab rassi

Sans se soûler, justement, sans forçage
Comme vivre l’extase sans avoir à jouir selon la norme
sans se salir forcément, mais avec du sale qui n’est rien d’autre que le réel refusant le lustre corrompu
sans obligations mais par l’extase transmise

Comprendre alors, au fond l’important :
l’aliénation d’une culture structurellement violente qu’on vomit de partout et qu’on nettoie de tous les fluides à notre portée

Par la folie libre du corps libre et de l’écriture collective

Enfin un hommage dans un ascenseur, une rue
Enfin un hommage car le vers est prose et devient accessible

Seule la poésie peut ENFIN m’aider à faire rimer pd et paradigme

ENFIN comme un souffle d’apaisement
comme un poids qui part
comme un style qui naît
et cette haine viscérale pas facile à cultiver d’un culte de la personnalité qu’attise le capital et sa cohorte écrivante et savante

ENFIN ce SALE qui donne envie
parce qu’il libère
sans salir qui que ce soit, sinon peut être le bourgeois (mais bon…)
Et
parce qu’il fait naître l’inquiétude là où il pose son cul (ou ses burettes), ou autre chose de lui on s’en fout au final,
ses mots !

un poids enfin qui s’envole
pour enfin voir l’humain
Celui des marges qui se renouvellera toujours plus vite que les sales cellules viriles des pouvoirs en tous genres

*

analcronike

Y’a des Corps Légitimes
qui peuvent ouvrir leur Bouche
qui peuvent Parler
qui peuvent Écrire

et

y’a des corps que la vie a tabassés
et comme jésus
ont appris à tendre l’autre fesse

y’a des corps à la gueule cassée
qui chaque jour tous les jour
oublient jamais qu’ils sont en guerre

y’a des corps que chaque jour tous les jours
aiguisent
ses ongles sa langue ses genito

y’a des corps qui de la douleur font pousser des armes

y’a des corps illégitimes
à qui on a fermé la bouche

mais ils ont ouvert leur culs

et ils porte fièrement leur marque :

T x R x A x I x T x R x E

28 jours c’est un après-midi au soleil avec L. Bigòrra
les aventures d’une pédale qui n a pas le temps
qui doit tracer dans cette vie
de business pute de l’ACAB industry
qui doit tout transformer en littérature
seigneur des anus

28 jours c’est L. Bigòrra
folle
gênante
de trop dans un entourage qui préfère la cacher
l’enfermer

je rêve du jour
où toutes les folles écriront des livres

je rêve du jour
où toutes les rues porteront le nom des putes

je rêve du jour
où le dessus descende
où les trous s échangent
où les corps qui utilisaient le trou du cul ouvrent leur bouche
où les corps qui utilisaient leur bouchent ouvrent leur trou du cul

je rêve du jour
où les trous interchangés articulent ensemble un cri de rage et de jouissance
un chant dysphonique de sirènes déformées
qui noient la normalité génocide
dans leur fluides puants

les folles
les putes

les gênantes

faut les entendre

faut se noyer dans leurs fluides

les putes sont encore illégales
les folles sont encore enfermées
l’humanité est un jeu de domestication
L. Bigòrra est un sale traître


28 jours de L. Bigòrra – en librairie le 25 juin 2021
Editions Terrasses

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