TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Ta petite « Rêvolution virile » tu peux te la foutre au cul, Camarade !

Nous poursuivons notre série consacrée au FHAR avec un document atypique, de grande importance car écrit à chaud au cours de l’année 1971 et publié aux éditions Jean-Jacques Pauvert. Lâche ton cul camarade est un récit à la première personne dont l’énergie et la ferveur révolutionnaire viennent résonner jusqu’à nous. Entendre les mots d’une génération, celle de mai 68, avec son argot, ses codes, ses jeux de langage courant jusqu’à la limite du non-sens et de la folie, ses tripes et sa rage, ses victoires et ses déchéances voilà qui nous ramène toujours à nous, à l’actualité brulante de la possibilité révolutionnaire. Et pour cause, c’est le seul motif d’écriture de Nicole Bley. Que savons-nous à propos de Nicole Bley ? Peu de choses. Son roman à caractère autobiographique, La panthère bleue, paru en 1971 raconte la trajectoire de celle qui, surnommée « Tubaises » à l’adolescence dans sa campagne, montera à Paris et se lancera à corps perdu dans la Révolution en cours. Elle connaitra la banlieue, les HLM, la rue, la prison, la marginalité. Elle connaitra également le mariage avec un intellectuel maoïste de bonne famille, les voyages aux États-Unis, les réceptions intellectuelles. Puis elle succombera à nouveau aux sirènes de l’agitation, de la rue, de la ville. Elle contribuera à des revues underground du début des années 70 comme Zinc, parapluie ou Actuel. Elle serait morte à 35 ans.
Nous proposons ci-après trois extraits de Lâche ton cul camarade, racontant la manifestation du 1er mai 1971 dans laquelle le FHAR déploie sa banderole « Prolétaire de tous les pays caressez-vous » ou encore une inénarrable réunion des Gazolines au point ou Noël Godin, dans son anthologie de la subversion carabinée qualifiera le livre de Gazoline manifesto. Lâche ton cul camarade est une boule incandescente qui consume les évènements, « apprivoisant les mots comme autant de Bastilles, un à un, afin d’en faire autant de projectiles non récupérables par un autre parti que celui de la colère. »

C’EST LA MANIFE, (NIFE NIFE) DU PREMIER MAI ! (GAY ! GAY !...)

C’est la fête à Nœud-Nœud !...
Des filles s’emparent d’un haut-parleur : « Courez !... Courez ! Pauvres mecs !... Les grands éducateurs-du-Peuple, là !... Hop ! Hop ! Hop !... Car la Rêvolution vous fait la nique ! »
C’est la fête à Nœud-Nœud !
La grande kermesse traditionnelle du premier mai, qui glisse son long filet beuglant, comme un bouillon d’onze heures sur le Boulevard chauffé à blanc !...
Ils sont tous là ; tous les Biteseuls, les Bites-auvent ; tous les Bites-niques, les Bites-schönes ; et tous les débités !...
Et ils en mettent un coup (comme au lit), serrés en rangs d’harengs, hurlant Vengeance et Vaincre, scandants, braillants, brandissants leurs bouts-de-bois en drapeaux ; leurs effigies de mâles, et leurs organes ouvriéristes !...
Pétants le feu par les naseaux, et la moëlle épinière emmanchée droit dans le cul, la race des Seigneurs du Sexe Supérieur (S. S.). Décollent au pas de l’oie ; protégés, épaulés, encadrés de leur Service d’Ordre, toujours à l’Avant-Garde, casqué et vigilant ; qui ne rigole pas !...
C’est la grande foire d’empoigne à qui qu’aura la plus belle bite et la plus grosse, pour devenir le Chef !
Prise en sandwich entre la Ligue et le Secours-Rouge, la manife « à Pédales », harpente le Boulevard sans tambour ni trompette, avec les Gouines, et les handicapés-sociaux.
Le F.H.A.R [1] est rose, enjuponné, et trépidant, rempli de taches de rouge à lèvres, luisant sous le make-up, clinquant sous les paillettes ; chantant la dérision de cette fête bouffonne à la virilité !
« Bhein quoi, le gauchisme, c’est pas du maquillage, peut-être ?... »
C’est Elles les plus marrantes !... Un badaud bat des mains : « Bravo ! C’est Mardi-Gras !... »
Une lesbienne : « Non monsieur, c’est des Lesbiennes et des pédés qui descendent dans la rue, au lieu de se cacher ! »
Les gauchistes jouent des coudes autant qu’ils peuvent, pour qu’on soit rejetées, qu’on « perde les pédales » ; qu’on disparaisse au loin.
Ca beugle l’Internationale pour recouvrir nos voix…
Alors le F.H.A.R. enturbanné d’une banderole de dentelle avec écrit dessus : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous », la voix en contre-rut entonne aussi son Internationale, pour le plaisir des travailleurs : « C’est l’orgasme finâââ-l ! Tous au lit et demain, les Gouines et les Pédales soeuront le genre humain !... »
Les Femmes, les Gouines et les Folles défilent sans mot d’ordre ; mais font aucun cadeau aux « cockers » du gauchisme qui sont forcés d’hurler en aboyant autant qu’y peuvent, pour recouvrir le bruit des cris des insurgées ; mutines factieuses, re-Belles et bonnes à mettre au mur, qui ont le culot de venir pendant Leur manifestation à eux tout seuls, sans les laisser tranquilles faire leur petite fêfête bien sage et bien léchée, sans aucun heurt ni confusion ; autorisée par Marcellin !...
Les gauchistes grimpent d’un ton leurs Slogans, pour empêcher que les badauds perçoivent le son des sacrilèges !
Une Gouine Rouge : « On a besoin d’un haut-parleur !... »
Une Folle : « Pas de ça, chérie, pas de prothèse, voyons ! Nos voix de femmes suffisent !... »
Une Folle-de-joie balance des cabas au bout de ses deux bras : « Je suis allée au marché, et je suis devenu Pédé !... »
Elle danse aussi le French-Cancan sur l’air de Mistinguett : « On dit que je suis une tapette, c’est vrai !... »
Les « cockers » rougeoyants : « Patron, salaud, le Peuple aura ta peau !... »
Les Gouines Rouges : « Pas de Patron à l’usine, à la maison !... »
Des Lesbiennes : « A bas la virilité fasciste : S.C.U.M., S.C.U.M. ! » … (bruit de tenailles et de ciseaux.)
Tout le monde : « Les Femmes dans la rue ! pas dans la cuisine ! »
« Les Femmes dans la rue ! pas dans les vitrines ! »
« Non ! nous n’aurons plus d’enfants, non ! non ! non ! Pour faire de la chair à canon ! »
Et les handicapés-sociaux : « Travail, Famille, Patrie, y en a marre ! »
Les photographes et les enregistreurs pompent le P.H.A.R. autant qu’ils peuvent : « Micros, phallus, même combat !... »
« Mât-haut, Marlène, même combat !... »
« Le P.H.A.R. est rose, la Chine le sera bientôt !... »
Les poings au fond des poches, tous les badauds s’en mettent plein la vue, en se marrant doucement, appuyés sur l’épaule des bourgeoises de leur cœur. Mais leurs sourires se figent, quand les homosexuelles les invitent à se joindre avec nous : « Les Pédés, les Lesbiennes avec nous !... »
Les coqs sur leurs ergots ressortent leurs vieux slogans, avec un enterrement de retard : « Nous vengerons Overney !... »
Le P.H.A.R. : « Nous vengerons Lazareff !... »
Une Lesbienne : « Lazareff !... Y’en a plus baise-zef !... »
Le P.H.A.R. : « Nous sommes un fléau social !... »
Un mec se faufilant dans la manife : « demandez « Rouge », le journal de la Ligue Communiste !... »
Les Folles : « Demandez Rouge à Lèvres !... » (Ca te gratouille, ou ça te chatouille, mec ? Tu lèves le poing de quel côté que ca te démange le plus.)
Ton cinéma, ta supériorité, tes mécaniques et ta pureté, ça marche plus, dis donc !...
On en a trop bavé de tes machins de mec, alors on en veut plus.
Les Filles en lutte : « Mon mec est un grand militant, au Peuple il donne tout son temps ! Et moi, j’lui donne le mien !... …Mais le Peuple lui a répondu : Ta petite Rêvolution, tu peux te la foutre au cul, elle fait pas jouir !... »
Les Gouines rouges [2] : « A bas l’ordre bourgeois, et l’ordre Patriarcal, A bas l’Ordre hétéro, et l’ordre capitalo ! »
… Ta petite « Rêvolution virile » tu peux te la foutre au cul, Camarade !
Les Folles : « Aaaaaaaaaaaaaah !... C’est bon, de se faire enculer !... »
Et c’est comme ça, Ha ! Ha ! qu’à force de jouer à la guéguerre avec vos p’tits drapeaux, que vous vous êtes blousés vous-mêmes ; forcés à faire un demi-tour, envers et contre toutes vos théories ; ou de filer comme des moutons dans le ventre du capital, afin de l’engraisser et de le sublimer !
Les Lesbiennes : « La virilité, c’est le fascisme !... »
« A bas la virilité fasciste !... »
A cause que la virilité est une chose qui existe pas. C’est un phantasme et du bidon. Et la Rêvolution, contrairement à tout ce que vous laissez faire croire, pour vos propres avantages, n’est pas du tout une affaire de courage !
C’est vous qu’allez solliciter les j’t’hars [3], pour qu’ils vous courent après, et vous échauffent la raie des fesses !
Vous évitez encore le corps à corps, parce que ça fait bobo, mais bientôt vous l’aurez votre bite de j’t’harpouille quelque part, quand vous ferez la chasse aux femmes et aux homosexuels ; quand vous leur raserez la tête ! après l’épuration… main dans la main et cul à cul avec les C.R.S. S.S. !...
Tous les grouins et les poings en avant, ça sera votre tour de faire la chasse aux Rêvolutionnaires, nanère !
Vous les débusquerez dans leurs maquis, et vous les truciderez ; vous les torturerez, et vous les pourchasserez dans des réserves !...
De quoi, vous irez plus en guerre contre le capitalisme ? Contre l’homosexualité, c’est le napalm que vous manipulerez. Parce que si le capital vous chauffait les oreilles, les Rêvolutionnaires, eux, vous mettent la main aux couilles, et ça, ça pardonne pas !
Vous vous joindrez à l’Occident pour tuer et massacrer l’homosexualité qui ose s’affirmer comme seule Rêvolutionnaire. De leurs maquis, les Rêvolutionnaires te font pourtant le bras-d ’honneur, parce que eux ont rien du tout à perdre, seulement leur vie. Pauvre vie qu’ils vivent avec la honte qui les poisse et les oblige à vivre en chiens-couchants-rasants les murs, interdits de partout, même dans les manifestations gauchistes !
« Quand la Rêvolution passera dans la rue, tu la reconnaîtras même pas. »
Et même, encore plus, tu lui tireras dessus avec les autres…

Tarzan, tu peux rouler ta caisse, elle est crevée. Ta force existe pas ; ta frime c’est de la gonflette qu’a perdu sa rustine !
Ton cinéma, ta supériorité, tes mécaniques et ta pureté, ça marche plus sur nous, vu qu’on en a trop bavé, de tes machins de mec !
Les types, on veut vous voir chialer, trembler de peur et de lâcheté ; on veut vous voir vous amuser bêtement, et faire areu areu tout en pissant et chiant dans vos culottes !
Et quand vous serez passés par les épreuves de la dégonfle, quand ça vous sera égal d’être habillés en « filles » ; quand vous aurez un petit vélo dans la cervelle et une pédale dans le trou du cul ; quand vous roulerez sur vos sphincters à la vaseline pour vous faire mettre, et mettre à votre tour ; alors on verra bien si c’est possible de vous causer, pour la Rêvolution…
Mais pour l’instant, fais demi-tour Camarade chéri ; parce que tu t’es blousé toi-même ! Et que sinon tu seras forcé de filer comme un mouton dans le ventre du Capital, pour l’engraisser et le défendre !...
Tels que vous êtes en ce moment les mecs gauchistes, vous êtes l’espoir de la Patrie ; parce que vos couilles d’hétéros, qui sont porteuses de son Avenir, l’intéressent drôlement ! Bhein oui, chers Camarades, ce sont seulement vos couilles, et votre globuline, qui intéressent cette vieille phallope de bourgeoisie !
Complètement à l’envers de tout ce qui fait courir les Camarades, l’esprit de Rêvolution a rien du tout à voir avec leurs grandes idées des « Rêvolutionnaires ».
Nous on est faibles et lâches, on vise aux couilles, on est girouettes, hyper-sensibles, et fatiguées de naissance. Nous on est pas les « Maîtres » d’aucune spécialité ; on est les crack de rien du tout.
D’ailleurs on n’a même pas à employer le verbe « être » quand il s’agit de nous ; à cause que la Rêvolution, c’est uniquement un état d’âme…
On est seulement vos anciens chiens qui rasent plus les murs, et qui vous lâcheront plus, jusqu’à l’égorgement du dernier des phallauds !
On est une zone érogène hyper-vivante et Folle, qui vit son Dien-Bien-Folle ; tout en voulant tout faire sauter et plastiquer la phallocratie !

CRÊVENT

(…)
On est ni faites ni à faire ;
On est la fête, pas les affaires !...
On est des « Filles-Folles-du-Peuple », aux Gazolines !... [4]
Vos A.G. des Beaux-Arts, transformées en corbeilles de la Bourse, avec ses Jules aboyeurs qui nous envoient des postillons hétéros-flics, et qui se servent de nous comme spectacle pour en tirer du fric et ouvrir des canards, ça nous change pas tellement de l’oppression qui nous connait déjà !
Seulement nous, on n’a pas que ça à foutre, vu qu’on travaille demain matin ; alors notre réunion, on va la faire ailleurs chéries !
« Gazolines » c’est un état d’âme, comme la Rêvolution… C’est nous qui la préparent, sans fric, et sans compromissions ; avec seulement l’Amour, et de l’eau fraîche !
Il y a de l’eau dans le Gaz, à « Gazolines », avec des bombes au plastique qui se préparent !...
(…)

RAGNAGNAS !

L’A.G. des Gazolines, c’est l’églantine qu’on met au rebord d’un petit pot de chambre, pour faire une farce à un enfant : Pour les chéries, c’est jamais l’heure ; ni avant l’heure, ni après l’heure, parce qu’avec elles on sait jamais.
Une Folle : « Le pet ! est un petit vent qui passe par la raie des fesses pour annoncer l’arrivée du Général « Caca » !... »
Une lesbienne, apostrophe un journaliste hétéro, qui fait le voyeur dans l’A.G. : « A cinquante piges, vieux chnoque, t’es riche, t’es lâche, mais ça fait rien parce que tu brilles ! T’es un vieux pou qui trempe dans la brillantine !... »
C’est la fête au vieux chauve qui s’est glissé parmi les folles !
« D’ailleurs t’es hétéro… On le sait que t’es marié, vieille poule ! Ts, ts, ts, essaie pas de te défendre. On veut que tu te tires d’ici, t’es pas une Gazoline. T’as rien à foutre dans notre réunion ! »
Le vieux montre la porte : « L’entrée est libre, que je sache… ! »
Les Gazolines sont belles, et elles s’en foutent de tout, mais il suffit qu’elles aient un hétéro sous l’œil, pour qu’elles montrent les dents.
Leurs crocs sont jeunes, qu’elles affûtent sauvagement : « Elle est pas libre pour les hétéros qui viennent nous espionner pour faire du fric dans un canard !... On veut que tu t’en ailles. On te fera chier, et on t’insultera jusqu’à ce que t’en puisses plus !... »
Le vieux remonte ses bésicles, en faisant le geste qu’il s’en balance.
« Vous voyez qu’il est maso !... »
Les Gazolines s’énervent jamais, elles jettent un œil sur les journaux du soir et sur les tracts, en insultant le vieux qui se raccroche au strapontin de l’amphi. Il a une bafouille à faire pour son journal, et il tiendra le temps qu’il faut pour avoir son papier.
« Tu verras rien, qu’on te dit !... on fera pas la réunion tant que tu seras là ! Tu perds ton temps, aux Gazolines ! Va plutôt au Flore, là-bas des folles à exploiter t’en trouveras plein, qui seront contentes de t’enculer pour pas un rond en plus !... »
Le journaleux gigote sur sa place, le visage empourpré, et les mains agitées.
« Si t’es maso, et que t’attends qu’on te casse la gueule pour te faire sortir, on te dit tout de suite qu’on est pas des gauchistes !... On n’a pas leurs méthodes ! On t’aura à l’usure, mais ton papier tu l’auras pas !... »
C’est à se demander si elles désirent vraiment de le voir partir. Parce que si il parait maintenant, elles auraient plus personne à qui jeter à la figure tout ce qu’elles retiennent comme insultes dans leur cœur à chaque instant de tous les jours, quand elles seront anonymes, mélangées à la foule hétéro qui les réprime et les déprime ; qui les méprise en les voyant « efféminer » : « D’ailleurs c’est l’heure de la soupe ! tu dois rentrer dans tes foyers ma belle ! ta femme et tes enfants t’attendent à la maison !... »
Il fait un geste, comme pour défendre les petites têtes blondes de son foyer. Là, il a fait une connerie : « Ils sont mignons, tes fils, au fait ! on les a vus à la télé, l’autre soir ! Tu ferais mieux de nous les envoyer !... Non, mais c’est vrai, ces petites, à l’âge qu’elles ont, elles doivent se masturber toutes seules, et se faire enculer dans les caves de l’école !... Franchement, c’est du gâchis ; tu ferais mieux de les envoyer aux Gazolines !... Leur faire passer le baptême homosexuel, au lieu de leur communion !... »
Le père regarde vers le plafond.
« Tu flanches, pépère !... Et qu’est-ce que t’en dirais si on passait à ton épouse ?... D’abord qu’est-ce qu’elle penserait si elle savait que tu viens aux Gazolines, dans cet égout ?... Parce que tu vas pas dire que c’est par pur hasard que c’est justement toi que ton journal a envoyé ? »
Le vieux secoue le fauteuil devant lui : « C’est moi qui ai voulu venir ! »
Les Gazolines s’esclaffent : « Justement ma chérie !... Mais tu fais des progrès, tu vois !... Tu vas devenir une Gazoline, si ça continue, ma grosse !... Tiens, comme bon point, on va te faire un grand cadeau !... On va te mettre du rouge à lèvres !... Ts, ts, ts, on veut personne qui soit sans rouge à lèvres aux Gazolines ! »
L’hétéro se laisse faire à contre cœur, avec le cou raidi.
« Tu as déjà moins l’air d’une poule de la Mondaine, comme ça, ma chérie !... Vrou ! mais c’est qu’elle m’exciterait, cette grande folle !... Pas ta bouche en cul de poule pour causer, hein, maintenant laisse-toi aller, salope ! fais un peu la coquette, pour nous montrer ton sex-appeal derrière ton nœud de cravate !... »
Le mec desserre son nœud de cravate.
« Tu vois, chérie, c’est le miracle du rouge à lèvres ! Maintenant t’éprouves l’envie d’enlever ton « travesti » viril ! C’est étonnant, quand même ! Ça mérite encore un autre bon point !... Si, si, j’insiste ! Parce que quand t’en auras dix, t’auras une belle image ! On te fera cadeau d’une photo de groupe des Gazolines, pour que tu la mettes dans ton portefeuille ! Aline, chérie, fouille dans mon sac à commissions, tu trouveras ma perruque ; je veux la voir sur ce crâne chauve ; cette tête de nœud capitaliste épouvantable ! qui jure dans notre réunion poilue ! »
Aline lui lance la perruque couleur queue-de-vache, aux cheveux maigres et parsemés : « C’est une fausse perruque, mais ça fait rien, là !... »
Le mec est archi-chouette, dans le genre pas content !
« Le jour que tu seras heureux et fier de rentrer comme ça chez toi, chérie, on t’acceptera aux Gazolines ! Mais pour l’instant t’as rien d’une chochote… T’es qu’un pauvre hétéro, qui baise conjugalement trois fois par mois ; parce que les vieux comme toi ça utilise encore la méthode Ogino pour la contraception !... Et encore, avec des caoutchoucs Olla !... »
La perruque en travers, il fait un geste nerveux avec la main : « Tu connais mieux, pour l’instant, que les capotes pour se protéger ; et qui soit en vente libre ? »
Les Gazolines se marrent doucement : « Vous entendez, la pauvre chérie, elle avoue ! Mais va au M.L.F. comme t’es maintenant, ma grosse, on va te prêter une jupe, enlève ta cravate, elles verront pas que t’es un mec, et renseigne-toi sur la pilule ! »
Les Gazolines sont agacées par tant de mufleries bêtasses : « Dehors, la vieille ! On voudrait faire notre réunion !... Si les contraceptifs t’emmerdent, t’as qu’à te faire pédé ! »
« Libère ta femme et tes enfants, vieille chnoque ! Tu nous dégoûtes !... »
« Va-t-en ! Sinon on va passer par les menaces !... »
Une Folle torse nu : « Si tu te tires pas tout de suite, on téléphone à ton épouse afin de lui dire que t’as laissé ton tube de vaseline dans la chambre d’Anita ! »
« On en rapporte un usagé à ton patron !... »
« On te va au cul par force !... C’est peut-être tout ce que tu attends, d’ailleurs !... »
Les Gazolines maquillées, torse nu, entourées de boas, lui tournent autour, en l’insultant à la figure, quant tout d’un coup l’une d’elles prend une photo flash de tout le groupe.
Le vieux bondit soudain : « Donnez-moi ce rouleau !... Je vais déposer plainte !... J’expliquerai tout à mon journal !... »
Les Gazolines, qui ne s’en laissent plus conter depuis longtemps, sont des nanas, qui ont de la défense : « Tu vois, chérie, on te l’avait dit que t’es avec les flics !... T’es un hétéro-flic, on te l’a pas fait dire !... Seulement on en a rien à foutre ! Ton rouleau tu l’auras pour Noël, si tu parles pas de nous dans les journaux !... »
Le mec se débine de rage, en essuyant ses lèvres sur son mouchoir, et en jetant les poils de sa perruque. Une Lesbienne mettant sa main en porte-voix : « Ton rouleau tu l’auras, quand t’auras obtenu la pilule pour les mecs !... »
Une autre fille lesbienne : « Demain, il va nous pondre un de ces articles sur les pratiques abusives de la conception !... Je vois ça en très grand : « La Femme martyre de la sexualité ! »
« Ha, dis donc, le jour où un titre comme ça paraîtra dans la Presse de tout le monde !... Mais moi je crois qu’on a fait des progrès pour ce soir !... Parce que le journaliste on se le tient !... »
Une Gazoline, enceinte (avec un coussin sous son pull) : « Ça va, les Lesbiennes ! extrapolez pas trop, vous oubliez les ruses faux-jetonnes des vieilles salopes hétéros, pour se tirer d’affaire, quand il s’agit d’homosexualité !... Ce mec il est pédé comme pas possible, seulement il passera jamais par-dessus « la morale !... »
Une fille Lesbienne : « C’est un pédé marié qu’à des enfants pour donner le change, et qui se tringle une femme homosexuelle, qu’il retient sous sa panse, grâce au commerce des femmes, qui sont sur terre pour mettre bas et continuer l’œuvre fumière de la phallocratie !... »
Les Gazolines aiment pas tellement les discussions sérieuses. Et si elles cèdent jamais, c’est avec le sourire, et en se bidonnant, autant qu’elles peuvent, tout en faisant des envolées : « Ca suffit les Lesbiennes, mes chéries !... Vous êtes aux Gazolines ici. Allez au M.L.F., si vous voulez parler sérieux !... »
L’atmosphère se détend tout d’un coup, avec tout le monde qui rit.
Une Gouine Rouge : « Si c’est le M.L.F. qui vous fait rire, vous êtes des belles salopes !... D’ailleurs c’est bien connu que les pédés sont les pires misogynes qui existent !... »
Une Gazoline : « Pire, ma chérie, t’exagères ! Disons qu’on est pas des faux-jetonnes !... C’est pas parce qu’on vous couvre pas de bijoux pour vous forcer à faire la vaisselle, qu’on est plus misogynes que les « larrons de l’occasion » !... »
« T’aimerais qu’on vous entraîne dans le « Travail, Famille, Patrie », et qu’on vous y défende à coups de litres de « rouge » et de camembert Bridel, chérie ?... Quand ça sera pas « le Rocquefort d’abord », ou les « maman, j’ai rien aux dents ! » alors que ton gosse étouffe de partout !... » Au fond t’es une petite bourgeoise comme toutes les autres, ma chérie !... Va « militer » au M.L.F., Nana, si tu « en es » !... Mais fous la paix aux Gazolines !
Une Lesbienne debout sur un strapontin, un long fume-cigarettes aux doigts, et perdant à moitié l’équilibre, mimant une femme-femme en train de stripteaser, rejette des boas, tout en roulant des hanches : « On me demande de chanter l’Internationââle !... » (sa voix est basse, son maquillage et sa perruque empêchent qu’on la reconnaisse).
Les Gazolines atterrées : « T’es Gazoline ? »
« Viens-y voir, ma chérie… »
« Franchement, t’est fââme, ou mec ?... »
« Tiens, tiens, toi aussi, t’en es, chérie !... »
« Vous voyez pas qu’elle voudrait mettre notre pédérastie en doute ! C’est une Lesbienne !... »
Une Gazoline qui marche à reculons s’empare des jambes de la fille, et la serre dans tes bras en tournanant avec elle : « Si on faisait joujou aux hétéros, tous deux ?... Tu m’excites, ma chérie !... »
La Lesbienne : « Mes lunettes ! Rendez-moi mes organes, j’en ai besoin pour m’en servir !... »
« Borgne ou aveugle, y’a pas de reine aux Gazolines !... Tes prothèses, ma chérie, garde-les plutôt pour quand tu seras dehors !... »
Une Gazoline, montrant les crocs en direction du couple : « Franchement, il a des couilles au cul, ce mec !... »
Une Lesbienne : « Vraiment ?... Comment qu’il fait pour s’asseoir ? »
« Il s’assoit pas, chérie, un mec c’est debout ! »
Une fille Lesbienne : « Des fois quand ça s’abaisse, c’est juste de temps de se grandir pour se mettre à plat ventre pour baiser !... »
« Pour faire des mômes et pour prouver qu’il est « viril » !... Un jour, il y’a un mec marié qui m’a raconté que quand sa môme est née, il marchait à ça du sol, tellement qu’il était fier !... »
Une fille : « Pauvre môme !... »
Une Gazoline : « Avec les femmes, ça, vous aurez beau dire, mais ça finit toujours en larmes sur le pauvre sort des mômes, des mères et des papas !... Franchement les Gouines, vous valez pas plus cher que les réformistes !... (Pis suivez pas mon regard, vous savez très très bien de qui je veux parler !... »
Une Lesbienne : « En tous les cas, si je peux vous dire un truc, les Gazolines ! c’est que vos réunions, ça vaut pas mieux qu’une discussion gauchiste !... Ça brille, c’est très intelligent !... Humoristique à l’occasion ; toujours très culturel, et cultivé… »
Les Gazolines ensemble : « C’est vrai, chérie, t’as bien raison !... On est puantes !... Changeons de conversation !... »
Des Gazolines : « Pas de conversation !... Que dalle !... M’enfin !... Pourquoi pas un programme en plus ? »
Quelqu’un : « Demandez le programme !... »
Une Folle émue, qui dit rien d’habitude : « Savez-vous qu’il existe encore des hétérosexuels ?... »
Une Lesbienne : « Pourquoi, t’es es ? »
La Folle rougissante : « Un petit peu d’indulgence, on peut rien dire ici, vous effrayez tout le monde ! »
Une Gazoline : « Si t’es timide, c’est parce que t’es orgueilleuse, chérie !... Nous on n’a rien à faire là-dedans !... »
Une Gazoline répugnée : « Et viens pas nous parler d’indulgence !... Où tu te crois ici, chérie enfin !... T’es pas dans la bourgeoisie libérale !... »
La Folle intimidée, mais voulant dire ce qu’elle a à dire, se met a débiter ses phrases machinalement ; debout dans la rangée : « Dieu est en nous !... Dieu est partout, Dieu est en chacun de nous !... »
Les Gazolines ne relèvent même pas la tête, elles continuent de lire leurs tracts, ou de flirter et bavarder ensemble.
« Notre Seigneur Jésus était homosexuel ! Et Dieu, son père est un homosexuel !... Tous ses disciples étaient homosexuels !... »
Une lesbienne : « Et son âne gris quelle couleur qu’il était ? Y’a que la vierge Marie, là-dedans, qui était pas homosexuelle, parce que elle, elle a mis un gosse au monde !... Toutes les femmes sont des homosexuelles qui mettent des gosses au monde !... Marie vivait qu’avec des femmes, je te signale, ma chérie !... Et puis en plus de ça il faudrait voir comment qu’elle l’a traité son Jules !... »
Une Folle : « Tu veux dire sa Joseph !... Ha !... mes chéries !... Ca vous arrive des fois de penser à la Rêvolution ?... Quel ennui, tous ces gens qui causent de trucs qu’existent pas ! Bon bhein Jésus était pédé ! Et alors ? Elles est morte maintenant !... Elle a d’ailleurs assez souffert comme ça, la pauvre chérie !... »
Une Lesbienne : « Je trouve ça dégoutant que vous reparliez de trucs pareils !... Jésus a existé dans l’imagination sordide des phallocrates ! C’est un Héros-Hétéro de Science-Fiction !... Est-ce que je vous parle des mœurs sexuelles du dernier James Bond que j’ai lu, moi ! C’est pas intéressant, c’est du phantasme, mes chéries ! autant que la virilité, si chère aux hétéros… »
« Pourquoi tu lis James Bond, toi aussi !... Reconnais devant nous qu’les jules virils, ça te déplaît pas non plus !... »
Une Folle : « Chérie qui vient de nous parler de cette époque miraculeuse où tous les hommes pouvaient se toucher le petit Jésus entre eux, et les nanas aussi ; dis-nous chérie, à quoi tu penses quand tu te masturbes ?... »
Une Gazoline : « Elle se branle pas la pauvre chérie, elle fait prêchi-prêcha… Elle tire le chèvrefeuille par les cheveux, pour se retenir !... »
Une Lesbienne : « Ce qui est formidable dans l’histoire de Jésus, c’est qu’on peut voir là-dedans tous les phantasmes des hétéros-flics qu’on puisse imaginer !... Prenez Marie, par exemple, figure classique de la femme ; sacrifiant toute sa vie à son môme ! Marie-Madeleine, fille du Peuple, est une putain dévouée, admirative du fils-à-papa !... »
« Ha ! les Lesbiennes !... Assez mes chéries !... Vous monterez en chaire au M.L.F. !... »
« On va vous appeler les « sérieuses », y’a vraiment pas moyen que vous desserriez les fesses, mes chéries, alors !... »
Une Folle : « Relâchez vos sphincters, mes chéries !... parce que pour l’instant l’hémisphère gauche de votre cerveau est en train de se faire broyer avec l’hémisphère droit !... C’est pas des pierres que vous avez, à la place de votre matière molle, mes chéries !... Ce sont des meules de contrebande !... »
Une Lesbienne : « Tant qu’on ne pourra pas aller s’exprimer ailleurs qu’en étant avec des homosexuels mecs, on se fera claquer la gueule !... »
« Tu vois, comme t’es, chérie !... Si y’a du mec ici, c’est les filles-mecs !... »
« Lâchez vos muscles, et lâchez tout !... Laissez pisser, laissez couler. Laissez venir à nous la grande Rêvolution !... »
Une Gazoline, avec un foulard jaune autour du front, assise à la table du prof ; lisant le Monde : « Ha mes chéries ! Les discours d’Assemblée… C’est mieux qu’à Gazoline !... C’est le serrage de cul le plus jouissif qu’on puisse trouver !... »
« N’empêche que c’est quand même cette grande Folle de Chaban qui les serre le plus fort !... du moins à l’Assemblée !... Celle-là, mes petites chéries, elle doit avoir les hémorroïdes qui font du bruit comme des graviers !... »
« Et la Duclos, c’est pas génial, comme travesti ? Ça dépasse le Brassens !... »
Une Folle dansant : « Des gens de Sodome et Gomorrhe, les copains d’abord !... »
La Folle au foulard jaune : « Ecoutez ça !... La Pompidou !... C’est vrai ce que je vous raconte mes chéries ; c’est dans le Monde de ce soir !... »
Une Gazoline : « Chérie tu me fais de la peine !... T’es comme les noirs intellectuels qui laissent jamais passer un numéro du Monde parce qu’elles y croient, les pauvres chéries !... Et tous les soirs dans le métro tu peux les voir le nez plongé là-n’dans !... »
Une Lesbienne : « A moi tu me rappelles l’époque où je pratiquais encore la voile et la vapeur !... je vivais avec un intellectuel de gauche ; et lui et tous ses potes allongeaient un par un chaque numéro du Monde sous leur bibliothèque, pour les garder tous empilés jusqu’à ce qu’ils soient jaunis !... »
« En fait il y a pas plus fumier que ce canard !... Ça pue la merde phallocrate sur le retour d’âge !... »
« Avec des mouches et des verrues partout !... »
Une Lesbienne : « « Des mouches et des verrues à particules !... Des vieux michetons, tout ça !... Avec des testicules qu’elles sont forcées de maintenir avec des suspensoirs, pour bien les séparer de leurs hémorroïdes !... »
Une Folle : « Les Lesbiennes, mes chéries, vous surpassez les Gazolines quand vous vous y mettez !... »
Une Lesbienne : « Peut-être que tous les mecs se défendront jusqu’au dernier pour pas être enculé ; en tous les cas les femmes qui trimbalent pas tous leurs fardeaux d’aliénation, vont finir par comprendre une fois qu’elles sont toutes homosexuelles !... »
Une autre Lesbienne : « Après le M.L.F., il y aura une vraie lutte des femmes, et elles vous surpasseront dans votre lutte à la virilité… »
« Mais oui, chéries ! et on sera avec vous !... Est-ce qu’on est pas des femmes aussi ? »
Une Gazoline : « Nous, on se drape dans la misère !... On est pas des bourgeoises !... »

[1Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire

[2Les Gouines rouges=Un groupe de Filles Lesbiennes du M.L.F. qui sont aussi les seules rêvolutionnaires du Mouvement.

[3Les flics

[4Gazoline, ça ne s’explique pas. On est une Gazoline (certaine même sans le savoir) ou on le sera jamais. Ce sont les Folles du P.H.A.R., qu’ont eu l’idée de faire un groupe entre elles, afin de se défendre de la brutalité rapace de certains « jules » du mouvement, qui profitent de leurs deux identités sexuelles-sociales pour jouer le jeu « viril » dehors, et défendre leurs affaires (de journaux en général) ; et venir la ramener dans les AG.
Les « jules » du P.H.A.R. sont bien souvent politisés, et viennent mêler leurs histoires de Marxisme à quelque chose qui est déjà la Rêvolution.
Les Gazolines, qui se sont d’abord appelées les « Camping-Gaz Girls », se réunissent aux Beaux-Arts une fois par semaine. Et parmi elles il y a aussi des filles lesbiennes.

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