TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Supprime ! : desmemoria queer à l’ère du numérique

Cet article est une transcription, légèrement réécrit afin d’inclure le débat ultérieur, d’une intervention de Ricardo Robles lors des rencontres « Le Sem’Imagine l’Archive » du Collectif Archives LGTBQI de Paris le 26 mars 2023. La proposition est de réfléchir à une déontologie, voire une éthique, lorsqu’on fait des archives, de la recherche, du militantisme ou qu’on s’investit tout simplement dans le milieu de la culture à partir d’une perspective transféministe.

Photo prise par Sasha Blondeau à l’occasion du Sem’ : Imagine l’archive ! #2. Transmissions. Le 26 mars 2023.


Tout d’abord, je souhaiterais préciser que cet article prétend avant tout d’approfondir le concept de nécropolitique queer (Puar, 2007) en le mettant en rapport avec d’autres auteur.i.ces, ainsi qu’avec les conditions matérielles et temporelles actuelles post-COVID. Loin de vouloir diaboliser l’usage du numérique chez les queers (d’autant plus que ceci est publié dans une revue en ligne), je reconnais ses avantages : entrer en contact, faire un coming-out moins brutal, surtout dans des contextes d’emprise familiale ou de situation politique dictatoriale ou autoritaire. Néanmoins, il me semble important d’avoir une réflexion critique, surtout lorsqu’une bonne partie de notre subjectivité sexuelle et de nos processus collectifs queer et trans sont en train de se construire dans et sur les réseaux sociaux, au point d’avancer d’autres contextes de sociabilité (tels que des lieux physiques) ; aussi, lorsque ces espaces numériques ont changé radicalement la façon de construire des archives minoritaires. Les périples afin d’obtenir des lieux permanents pour les archives (que le collectif Archives LGTBQI Paris [1] connaît très bien), et le pari que font d’autres collectifs pour les archives numériques, nous confrontent à des nouveaux défis.

Cet article ne réfléchit pas aux technologies numériques en tant que technologies moléculaires et souples, manipulables et élastiques sans limitations. Cette vieille hypothèse est partagée autant par les techno-optimistes (qui regardent chaque innovation numérique comme une révolution rhizomatique anarcho-transféministe qui démocratiserait la parole) que par les techno-pessimistes (celleux qui dénoncent le ’transhumanisme’, souvent tombant dans des paniques conspirationnistes ou survivalistes [2]). Contrairement à ces deux champs, qui partent du même principe, je pense au numérique en tant qu’une architecture rigide (en tout cas pas plus souple que des dispositifs du régime disciplinaire), concrètement une architecture plate et lisse pour suivre Beatriz Colomina [3]. Les signifiants affichés dans le smartphone sont homogénéisés, la circulation est de plus en plus régulée, soumise à des législations, autant des gouvernements (telles que la loi Avia en France) que des plate-formes privées.

Qu’est-ce que la desmemoria ?

La desmemoria, pour le traduire en français, veut dire ’dé-mémoire’. C’était un concept abondamment mobilisé par les résistant-e-s antifascistes en Espagne pour parler d’un ensemble de politiques de l’État dont leur but est de nier, d’effacer et de censurer les génocides et les crimes de guerre commis. Un exemple de cela est le Pacto del Olvido (pacte de l’oubli) de la Ley de Amnistia (1977) en Espagne après la mort du dictateur Franco ; une loi qui prône, je cite, un ’oubli de tout et pour tous’ (un olvido de todo y para todos), c’est-à-dire l’imposition d’un silence des 40 ans de guerre civile et de dictature. Cette loi est toujours en vigueur en Espagne et entrave toutes les initiatives de mémoire historique (aussi timides que récentes [4]). Pour citer littéralement le discours de la promulgation du Pacto del Olvido à l’Assemblée nationale espagnole, une loi peut établir l’oubli  : la société disciplinaire a eu le pouvoir de gestion de nos souvenirs.

Si on écoute encore ce discours, on trouve que les ambitions du politicien qui le prononçait (Xabier Arzalluz) allaient au-delà d’une loi : « cet oubli doit s’établir à toute la société, il faut que cette conception de l’oubli se généralise » (sic). Ce discours de 1977 est représentatif de ce contexte en pleine transition d’une société disciplinaire à une autre (selon les auteurs : société de contrôle, capitalisme cognitif, psychopolitique, pharmacopornographie [5], capitalisme numérique ou NBIC...). Il serait logique donc de penser qu’aujourd’hui la desmemoria ne se limite pas à l’Espagne ou aux contextes post-dictatoriaux (Chili, Argentine, Portugal, etc.) mais répond à de nouvelles formes (plus larges, plus mondialisées), et que, par conséquent, il serait plus intéressant d’étendre sa définition en tant qu’ensemble de techniques du gouvernement pour induire l’oubli. Ceci nous permettrait de mieux comprendre son rapport avec les espaces numériques.

On pourrait donc désigner l’algorithme comme un nouvel agent des politiques de la desmemoria. L’information sur l’écran est soigneusement sélectionnée. L’algorithme et les cookies personnalisés font le tri des annonces et des publications qui pourraient nous intéresser... et décidément d’une façon tendancieuse. En octobre 2021, avant le rachat par Elon Musk, Twitter reconnaîssait déjà que leur algorithme favorisait les contenus d’extrême-droite après une étude menée par la plateforme elle-même. Et aujourd’hui le numérique, loin d’être un outil de « justice sociale  » pour signaler des contenus racistes, LGTBphobes ou fascistes, vise de plus en plus la nudité et le travail du sexe en ligne (annonces web d’escortes, webcammers, créateur-e-s de contenus X) et les publications contestataires connaissent de plus en plus de censures ou de «  shadowban  ».

Un autre élément important des politiques de la desmemoria à travers le numérique est la modalisation temporaire : le présent perpétuel, déjà conceptualisé par le philosophe français Félix Guattari. En 2019 la philosophe mexicaine Sayak Valencia rassemble tous ces facteurs (présent perpétuel, algorithme, cyber-surveillance) et les conceptualise en tant que « régime du streaming-live  » [6]. Tout événement important (des séminaires/débats aux manifestations, en passant par les AG) sont streamés pour être oubliés ensuite. Il est paradoxal comment plus les espaces numériques deviennent sophistiqués (et a priori plus aptes à faire des archives, à travers l’indexation), plus nous sommes démunis des façons d’apprendre à nous souvenir des choses, même les plus banales. Il est difficile de développer une mémoire à long terme (même à court terme), au point que parfois elle dépérisse. Combien parmi vous furent soupçonnés d’avoir un diagnostique TDAH (Trouble de Attention avec Hyperactivité), ou pire, d’être TDAH ? Et si le TDAH n’était autre chose qu’un effet de la desmemoria, ou encore, pour le dire avec Guattari encore, de la standardisation de la subjectivité [7] ?

Comme Sayak Valencia le souligne, cela amène toujours à une induction de l’oubli lié à des contextes d’oppression, soit  : « d’une suppression systématique de la mémoire historique de certaines populations, surtout minoritaires  : indigènes, racisées, pauvres, féministes, dissidentes sexuelles, handicapées, migrantes  » [8]. Ceci nous pose énormément de questions concernant les archives, spécialement si elles sont numériques ou en partie numériques. Notament dans la transmission et ses modalités. La desmemoria pourrait être là où on ne l’attend pas, autrement dit et pour citer Achille Mbembé, il s’agit d’une « dissémination du microfascisme dans les interstices du réel  » [9]. Par conséquent, et afin de lutter contre la desmemoria, il serait intéressant de nous demander quels sont ces microfascismes disséminés en nous, quelles sont les effets de la desmemoria dans nos espaces queer, transféministes, ou comme nous voulons les nommer.

Quelques formes de la desmemoria queer

Dans mes recherches, et à partir des réflexions de plusieur.e.s philosophes et camarades (Nat Raha, Sayak Valencia, Blas Radi, Achille Mbembé, Walter Benjamin, Félix Guattari, Paul B. Preciado, Elizabeth Duval, Sam Bourcier) il m’a été possible de constater plusieurs mécanismes de desmemoria qui visent les dissidences sexuelles et très notamment les personnes trans :

1) Une obsolence programmée des personnes trans médiatisées :

Pour le philosophe argentin Blas Radi, les personnes trans les plus visibles (télévision, Internet ; institutions, associations, séminaires, espaces militants) sont présentées comme interchangeables, ce que les anglophones connaissent par ’token’. Cela pousse ces ’token’ à se démarquer du reste, se détachant ainsi de l’héritage militant et théorique qui les précédent, brisant toute tentative de transmission. Après tous ces efforts pour se démarquer du reste, il arrive ce qui est arrivé au reste : soit un burn out militant (ou plutôt ce que Jack Halberstam appelle ’subcultural fatigue [10]) soit un call-out. Tout ça pour ça comme on dit. Finalement, ces envies de vouloir être différent n’entravent pas les dynamiques de succession et d’interchangeabilité, bien au contraire les nourrissent.

Blas Radi dit encore que l’exécution de ces dynamiques « enterre la trajectoire du mouvement dans les fosses communes du passé. Et, avec lui, l’expertise, la maturité, les débats, les plans d’action, et la plateforme collective depuis laquelle on pourrait contester bien plus que l’inclusion symbolique. » [11] Plus largement, cela conduit à ce que j’appelle une obsolescence programmée de la sociabilité/médiatisation des personnes trans, où la durée de leur portée médiatique/sociable dépasse rarement la moyenne des cinq ans et, dans beaucoup des cas, ce sont les personnes qui décident d’elles-mêmes de s’éloigner de la visibilité. L’entourage ne les réclamant pas non plus, ces personnes d’un coup ’hors milieu’ tombent dans l’ostracisme le plus absolu. Nat Raha décrit ces processus comme une « morte lente » [12] des personnes transféminines, liant ainsi transmisogynie et ce qu’Achille Mbembé entend par nécropolitique.

2) Récits tanatophiles :

Mes questionnements sur cet aspect ont commencé lors de la médiatisation à l’internationale de Cristina La Veneno [13] après sa mort à travers une série télé sur HBO réalisé par ’Les Javis’. Mes réflexions se sont fortement nourries de celles d’Elizabeth Duval, une philosophe espagnole et chroniqueuse qui a analysé en détail certaines dynamiques problématiques de la série. Non seulement « le focus de la violence est déplacé systématiquement » [14], les deux personnages principaux (deux femmes trans), se présentent comme interchangeables (plusieurs cadres temporels différents qui s’entrecoupent), mais répondent en même temps à des rôles très précis. Le personnage de Cristina représente ici un archaïsme, un personnage malheureux, l’échec ; tandis que Valeria Vegas (la jeune femme trans sociologue qui écrit sa biographie) incarne le succès professionnel et amoureux, une dite ’représentation positive’, cette « logique de la nouveauté » de la modernité occidentale. Elizabeth Duval se demande ainsi : « Peut-être est-il plus cruel de convertir une morte en déesse que de convertir une vivante en saltimbanque de la Cour  ?  ». [15]

Le summum est la commercialisation par l’entreprise Mattel d’une poupée à l’effigie de La Veneno... mais aussi de Marsha P. Johnson ! Nous sommes à un stade macabre du pinkwashing  : cette rentabilisation et cosmétisation automatisée de la mort des femmes trans, des travesties et des personnes transféminines répondrait très bien à ce Sayak Valencia entend dans Capitalisme gore par « thanatophilie » [16].

Il est aussi probable que d’autres personnes trans ou de genre non-conformes qui ne sont pas transféminines soient tout aussi prises dans des logiques thanatophiles, bien qu’à une échelle plus ’underground’ (comme Leslie Feinberg) ou locale (Monique Wittig en France). Je me suis permis de dégager une série de caractéristiques communes à tous ces traitements :

 Reprise médiatique dans l’après-coup (non pas immédiatement après le décès).
 Présentation de ses productions littéraires, en termes de témoignages, de traumatisme, de « jouet cassé », au pire lyriques.
 Déni de toute capacité d’agencement et de complexité de leur discours ou de leurs productions théoriques, souvent avec des interprétations psychologisantes et pathologisantes.
 Réinterprétation biographique et/ou théorique qui met l’accent sur les discriminations d’ordre interpersonnel et non pas sur la violence d’État et le système patriarcal et colonial.
 Mépris de l’auto-détermination de la personne dont il est question, relecture présentiste.
 Leçon finale de respectabilité (un épisode sombre de l’histoire ou, comme dit ironiquement Duval, cette personne serait mort-e pour nos péchés) et acceptation acritique de la société présente (il faut de ne pas être comme elleux afin de ne pas finir malheureuxses/traumatisé-e-s)

3) Effet Macondo :

En référence au roman Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, Macondo est un village qui subit une malédiction cyclique. C’est un terme que j’ai proposé dans mes travaux pour décrire un sentiment d’infériorité, de surdétermination et d’acceptation acritique de l’oubli ; une position binaire et subalterne incapable d’offrir une alternative ou un point de fuite par lequel inventer et fabriquer, à long terme, d’autres réalités et par conséquent de construire une mémoire dissidente.

Cela nous amène, comme chez Macondo, à des « effets loop ». Le dispositif de l’algorithme cache soigneusement certaines archives, cache aussi certains débats, et donc contribue à ce qu’en revienne tout le temps aux mêmes débats, de façon cyclique. Même le débat sur les débats cycliques dans la communauté queer est, en soi, un débat cyclique.

4) Desmemoria de l’oppression subie :

Le présent perpétuel s’impose comme support, si (par exemple) je change mes pronoms ou mon nom sur les réseaux sociaux le précédent disparaît : pour les utilisateurices et non pas pour Mark Zuckerberg, pour Elon Musk ou pour France Connect. Si la plateforme ne le permet pas ce n’est pas grave, on crée un autre compte et on repart à zéro. Cela a des répercussions dans la façon dont on lit certaines histoires, y compris nos histoires de dissidence sexuelle. Par exemple, on dira qu’on a toujours été un homme ou une femme ou aucun, qu’on a toujours été attiré-e-s par tel ou tel genre, qu’on a toujours eu telle ou telle quantité de désir sexuel, qu’on a toujours eu telle ou telle neuroatypie. Mais si on fait un coming out nouveau on réécrira à nouveau notre histoire, on gribouillera une biographie cohérente, lisse, plate, sans contradictions. A plus de coming outs, plus de réécriture. Dans tous les cas, il s’agit de faire un tri abusif entre certains souvenirs et d’autres, en bref ce que Paul B. Preciado appelle une « supression de la mémoire de l’oppression » [17] de ce qu’on a été avant, que ça soit en tant que femme, en tant que lesbienne, en tant que butch, en tant que pédé, en tant qu’homme efféminé... La conceptualisation de nos anciens prénoms de personnes trans en « dead-name  » (« mori-nom » dans sa francophonisation), d’ailleurs très critiquée par plusieurs auteur-ices [18], me semble un exemple très évident de cette desmemoria de l’oppression et du langage nécropolitique.

5) L’auto-effacement d’archives :

Un camarade venu au séminaire des Archives [19] réfléchissait sur la communauté transmasculine de Youtube dans les années 2000 et 2010 (où les chaînes étaient une sorte de ’journal de bord’ de transition) et comment, d’un coup, cette culture (et donc tous ces archives !!) ont disparu, souvent supprimés volontairement par les usagers, souvent en raison d’une évolution dans leur discours politique. L’intériorisation est tellement forte que nous avons normalisé le fait de supprimer des tweets anciens, des anciennes photographies sur Instagram, ou même des comptes. Il s’agit en somme d’une surveillance constante de soi-même, ce que Sam Bourcier observe aussi dans un entretien pour Magazine 360° : « c’est une hyper-correction. Les jeunes, pris dans des logiques privatives et de contrôle, n’osent plus parler de rien et s’autocensurent ».

L’expression ’Supprime’ résumerait très bien ce mécanisme. Quand quelqu’un dit quelque chose d’affreux, on lance un ’supprime’, ce que souvent la personne qui a foiré va faire, comme si de rien n’était (dirty delete). Autrement dit, toute chose qu’on dit sur Internet devient automatiquement archivée, mais il y a des dispositifs de contrôle (hyperbolisés dans les communautés sexo-dissidentes) qui font que nous-mêmes supprimons NOS archives, donc on est en train d’exercer nous-mêmes cette desmemoria, autant envers les autres qu’envers nous-mêmes. Et contrairement à ce qu’on croit, cette hypercorrection politique ne conduit pas à une remise en question, bien au contraire elle conduit à une déresponsabilisation politique la plus totale.

Responsabilité épistémologique : cinq propositions

Que faire collectivement face à cette desmemoria ? Je rejoins le projet de Blas Radi et Moira Pérez d’une responsabilité épistémologique trans [20] qui puisse contrecarrer ces dynamiques. Voici quelques initiatives que je lance :

 Commencer par des exercices de notre mémoire à nous, des choses du quotidien. Il faudrait une mise en place d’ateliers de contre-programmation cognitive transféministes, dont leur but ne soit pas une amélioration de la productivité capitaliste ni d’en faire une ’skill’, mais une meilleure préparation pour nos savoirs communs.
 Prendre en charge les dynamiques de jeunisme qui expulsent les trans et queer âgées de nos réseaux de sociabilité, souvent depuis l’archétype du prédateur-ice, du/la relou-e, le grognon-ne, le fouxlle, le/a tox/alcoolo etc. Les queers âgées ne sont pas des ’boîtes à outils’ qu’on utilise de façon opportuniste pour a posteriori ne pas penser à elleux en tant qu’ami.e.s, camarades, amant-e-s, des êtres chers. Nos espaces, nos dispositifs doivent aussi être plus accessibles s’adapter aux nécessités des queers âgées et des personnes ayant diversité fonctionnelle. Cela concerne aussi les espaces numériques.
 Inclure des réflexions critiques sur l’usage du numérique dans le militantisme (décrétionnisme numérique) sans pour autant tomber dans des discours technophobes. Autrement dit, utiliser les espaces numériques avec modération afin qu’ils ne se substituent pas à d’autres espaces de sociabilité, faisant le pari de la multiplicité d’investissement d’espaces.
 Adhérer à des généalogies de ’circuit court’, c’est à dire de notre ville ou de notre contexte militant (si imparfait qu’il puisse être !). Je ne prône point une ’autarquie’ (autarqueer ?), étant moi-même le premier à être pour l’internationalisme et la circulation des idées. Mais, pour l’avoir expérimenté moi-même à plusieurs reprises, il me semble important de ne pas fantasmer à l’excès l’activisme des villes, des époques ou des contextes géographiques dont nous n’avons pas un lien direct et nous ne voulons pas l’avoir, puisque souvent ces idéalisations se font au détriment des personnes de notre quotidien.
 Combattre ce microfascisme néolibéral individualiste de ’il n’y a eu personne avant moi’, qui se manifeste souvent dans des critiques à nos ancien-ne-s qui ont pour but la destruction de tout ce qui a été construit précédemment, et non pas de construire un échange ou d’enrichir le débat. Comme l’affirme Blas Radi  : ça donne une puissance momentanée très tentante. Ce à quoi je rajouterais même, ça peut te donner l’impression d’être super subversif, super anti-système ! On pourrait dire qu’il s’agit d’un nécro-empowerment, que Sayak Valencia définit en tant qu’empowerment individuel dont ses conséquences sont la mort (physique ou sociale) d’autres populations vulnérables ou du même groupe social. [21]

En conclusion, nous les personnes trans et queer jeunes avons un degré de responsabilité dans le manque de transmission, surtout quand on commence à militer et quand les maisons d’éditions et les journalistes nous encouragent à nous bagarrer entre nous depuis leur tour de marbre avec un pot de pop-corn. Avoir une responsabilité épistémologique avec nos daron-ne-s trans et queer et combattre la desmemoria est bien plus important que la ’fame’ ou l’argent. À nous de faire une désobéissance civile et de rompre notre pacte avec l’oubli.... à v/nos claviers ?

Ricardo Robles.

[1Les Archives LGBTQI de Paris ont de façon provisoire un local à la Rue Santeuil (6eme), dans l’ancien campus de La Sorbonne. Vous pouvez consulter leur comptes sur les réseaux sociaux ou leur site Internet afin de savoir plus sur leur lutte, depuis bien plus de 5 ans, pour signer un bail à long terme pour un local adapté à leurs nécessités.

[2Il faut être prudent avec ces discours puisque, très souvent, visent le militantisme trans et queer révolutionnaire (tels que Pièce Main d’Oeuvre, et plus récemment le podcast Floraisons)

[3Beatriz Colomina est architecte, commisaire d’exposition et théoricienne de l’architecture. Elle travaille avec d’autres disciplines avec une approche pluridisciplinaire sur la relation entre l’architecture contemporaine, les médias et les transformations du capitalisme et notamment sur Playboy, ce qui explique sa direction de thèse de Paul B. Preciado à l’Université de Princeton. Dans cette conférence de 2021, Colomina explique l’évolution de l’architecture des surfaces rugeuses à des surfaces lisses et monochrones et comment ceci a modifié nos subjectivités. Sayak Valencia reprend les réflexions de Colomina pour l’appliquer au fonctionnement des réseaux sociaux.

[4La Ley de Memoria Historica date de 2007 (sous le gouvernement de Zapatero) mais elle s’est vu fortement entravé par ce dit Pacto del Olvido. La seule qui a proposé une reforme de

[5Ces concepts ne sont pas nécessairement interchangeables, puisqu’ils font objet à des processus parfois subtilement différents.

[6Valencia, Sayak. El régimen está (transmitiendo en) vivo. #Re-visiones 09/2019. Lien de téléchargement du pdf : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/7211193.pdf

[7Guattari, Félix (1992) Chaosmose. Édition de 2022. Éditions Lignes.

C’est dans ce même ouvrage qu’il théorise sur la modalisation de la temporalité.

[8Valencia, Sayak. El régimen está (transmitiendo en) vivo. #Re-visiones 09/2019. Lien de téléchargement du pdf : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/7211193.pdf

[9Mbembé, Achille (2020), Brutalisme. Éd. La Découverte. (p.93)

[10Halberstam, Jack (2004) In Another Queer Time And Place. Duke University Press

[12Raha, Nat. Transfeminine brokeness, radical transfeminism. The South Atlantic Quarterly 116:3. July 2017. Duke University Press

[13Cristina Ortiz (aussi connue comme La Veneno) fût une des premières personnes transféminines médiatisées en Espagne dans les années 90 à partir de son travail comme chroniqueuse dans le programme de télévision Esta noche cruzamos el Missisipi (1996). Bien qu’aujourd’hui considérée un icône de la culture trans espagnole, La Veneno dénonçait souvent le traitement d’ostracisme qu’elle a commencé à subir à partir d’un certain âge. Elle fût retrouvée morte dans son appartement en 2016, pour des raisons qui resteront inconnues -l’enquête policière suspendue depuis longtemps.

[14Duval, Elizabeth (2021), Después de lo trans. La Caja Books

La Veneno avait connu le franquisme, la prison, elle subit des viols en prison par des pénitentiers, elle dénonce le franquisme et la fausse transition démocratique espagnole... Et pourtant rien de cela n’est dit dans la série.

[15Duval, Elizabeth (2021), Después de lo trans. La Caja Books

[16Valencia, Sayak. Capitalisme gore. Traduit au français par Louise Ibáñez-Drillières. Ed. Cambourakis. Coll. Sorcières, Paris 2023

[17Adler, Laure ; Preciado, Paul B (2021) Machines à écrire. min 18 :25.

[18Voir aussi Paul B. Preciado dans cet échange avec Jack Halberstamà Londres en 2020, ou encore avec Laure Adler (2021) à partir de la minute 18:25

[19J’invite au dit camarade de se manifester parce que... j’ai oublié son nom !

[20BLAS RADI. Responsabilidad epistémica e ignorancia culpable. Un comentario sobre la revisión por pares en filosofía práctica. Dans Mucho género que cortar : Estudios para contribuir al debate sobre género y diversidad sexual en Chile, 2022 ; p. 123 - 136

[21Valencia, Sayak. Capitalisme gore. Traduit au français par Louise Ibáñez-Drillières. Ed. Cambourakis. Coll. Sorcières, Paris 2023

Sayak Valencia élabore ce concept en relation aux narcotrafiquants de Tijuana, mais il peut être applicable dans d’autres situations.

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