TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Nos nuits - par L. Bigòrra

Un triptyque sexuel signé L. Bigòrra, auteur de 28 jours paru aux éditions Terrasses (Prix du roman gay 2021).

I

manifeste du sale

Nous sommes anesthésiées par l’idée que la chose peut se produire, qu’un amour peut naître dans une nuit poisseuse de l’été-fin-du-monde. Toute la vie que nous y croisons porte malgré elle, la beauté d’un crime à exiger.
Le JE les bande – les garçons improbables - dans son slip quand il tire avide sur un bout de clope triste, assis seul sur un banc, seul comme un proie, seul comme un loup.
Cette famine, elle pourrait avaler tous les hommes de Stalingrad jusqu’à la Villette. JE est un bagnard évadé d’une éternité en désert.
Ici est un territoire difficile, un territoire qui ne veut pas du nous, petits monstres ridicules, volontaires et tenaces. C’est toujours ces nuits-là que nos paupières se dissolvent et on croit qu’on pleure.
Et la mer qui scintille sur le canal.
Y’a ces solitudes, elles sont dures avec leurs triques d’une autre siècle. Elles nous obligent à garder le menton haut et le regard franc malgré les bières à 8 degré.
Y a ces nuits où croire relève d’un effort plus grand.
Et il y a ces nuits où, quand nous abandonnons presque, le démon s’avance vers nous pour insuffler cet oxygène, mélange de peur et de foutre. Parce que nous savons son absence future, nous le chérissons.
Nous sommes le bas-fond et Nous appelons les hommes solitaires et vaincus pour les entourer de notre chaleur. Et Nous persévérons malgré leur haine de la folle, de la pédale qui voudraient susurrer des mots-miels le long des nuques-crasses. Nous persévérons toujours dans la recherche de (nos) camarades. Ce nous est une rêve.
Nous nous rêvons meutes.
Le JE ne cherche pas à sourire. Le sourire pue la séduction, pare le visage de fleurs et laisse froid l’homme-voleur à la trique malsaine. Nous devons fixer l’homme croisé, l’homme provoqué comme le bourreau à qui on s’abandonne dans l’effroi de la douleur ou de la fin définitive de la douleur.
Nous avons peur du rien et pas du coup de poing. Nous en faisons fuir plus d’un juste avec notre immense faim. Nos désirs, une arme sans chien ni gâchette.
L’homme-voleur ne peut pas nous aimer. De sa haine, nous devons lire une déclaration d’amour.
Contre notre arrogance, le voleur-violeur-gicleur doit imposer sa virilité, comme un duel. S’il se défilait, il serait la tarlouze.
Lui comme nous connaissons les lieux de la paix et du plaisir. Nous comme eux masquons la pauvreté pour inventer des palais mythiques.
Ce n’est qu’un buisson pour le monde mais pour nous c’est Brocéliande. Écrasé entre le début du canal St Denis et des restes d’équarrissages en plaza, des mouchoirs froissés et des bouteilles cassées y fleurissent de terre. Des bouts de matelas-mousse en déclaration d’accueil.

On est pas caché dans cette forêt mais personne ne peut nous apercevoir.

C’est trop sale. Trop puant. Spermes et crachats sont rois.

Et c’est ici que l’amour quitte leurs corps pour finir dans nos bouches, nos récits.

II

Les Bas-Fonds

J’attends sur le banc. J’attends pas loin du bosquet. Même si j’suis 1312, même les keufs je les mate. C’est tellement le feu dans mon intérieur, je laisse l’oxygène dehors. Pourtant je le sais. Je suis fixe. Immobile. Patient comme la pierre.

Parfois je me lève pour dire que je suis en vie, je suis disponible, le sang pas tout à fait froid. Avant d’arriver dans ce bout de territoire, j’avais déjà croisé assez de chance pour plus jamais vouloir rentrer dans mes bercails. La Nuit-Capitale m’a ouvert le cœur et la peur et mes jambes stéroïdes ont compris qu’elles s’arrêteraient seulement le corps calleux satisfait. Et aucun risque ne serait trop grand ou grave. Devenir définitif. Être définitif.

Un homme grand et jeune s’approche de moi. Il colle tout son corps contre le mien, l’endroit de sa bite contre mes fesses et il impulse un mouvement érotique. Malgré la surprise et la sueur, je ressens sa main plonger dans la poche de mon pantalon noir. Il y cherche l’or que je n’ai pas. Je renonce à rejeter sa main immédiatement de ma poche vide. Garder son bas-ventre un peu encore contre mes anches.
Je grogne pour stopper notre chorégraphie. Sa main vide quitte ma poche vide. Il s’écarte et je suis seul à nouveau.
L’homme reste en position alors qu’arrive celui que j’imagine être son camarade. Moins grand, plus fin, rassurant presque. Il me parle avec ses mains. Il me parle avec sa main gauche qui attrape son paquet et ses yeux sourient on pourrait dire à cause de la nuit.
Évidemment je regarde sa main qui mime sa bite. Évidemment c’est maintenant que je souhaiterais mourir.
Il me dit viens je voudrais que tu me suces. Il me rappelle que j’aime ça et je ne le contredis pas. Je ne fais pas même l’effort de sourire. Pas besoin. Je le suis juste sur les bords des rails du tramway. Il y a un bosquet qui la nuit se transforme en forêt.
Il m’assoit presque grand-frère sur le rebord-béton. Il sort de sa braguette sa bite déjà dure, déjà grosse et la pose dans ma bouche-écrin.
Quand l’équation désir-patience-nuit-violence trouve son résultat – la bite du voleur dans notre bouche -, l’interrogation trou noir, fin du monde et big bang se tait pour de vrai et presque comme pour de bon. Nous sommes alors là, dans notre forêt temporaire, je peux toujours voir la silhouette patiente de son camarade, celui qui est large, assise sur mon banc, patient, inoffensif je me dis.
J’aime sa bite et l’odeur de décharge mais sur mes gardes, et malgré mes poches vides, une colère-frustration me donne envie de partir. Pour baisser le niveau de la peur. Que ma solitude dans le monde se retrouve sereine.
Je le repousse et me lève et il veut que je reste. Il me retiens presque romantique. Je sors des bois les épaules décisives. Il s’accroche et m’implore. Je pense même entendre un s’il te plaît.
On se réinstalle sous les branches et c’est avide que je lui lèche les couilles. J’y mets de la conviction et je ne remarque même pas si je bande mais suis appliqué. Il geint un peu et son bassin en mouvement me vole de la respiration. J’aspire son gland parce que c’est la fin de l’idylle, je le sais. Sa bite convulse et relâche de longs jets de sperme. J’avale avec application.
À peine soulagé, il me tombe dessus, et essaie de me faire tomber par terre. Ses mains essaient d’entrer encore dans mes poches. Le goût de son sperme encore sur ma langue, je libère une véritable colère.
Non tu ne me voleras pas
Oui je peux te faire jouir mais ne me vole pas.
Une force de folle me prend et je l’expulse de mon dessus, de mon corps. Étonné de ma rébellion et sonné d’orgasme, il sort en premier du bosquet.
Revêche, je le poursuis un peu et crie pour casser la collaboration de la nuit, sa passivité surtout. Je veux lui faire peur. Qu’il comprenne que ma soumission temporaire est un acte d’amour et de désir. Que je le contrôle. Qu’il n’est pas seul détenteur du monopole de la terreur.

Il trotte vers son camarade qu’il presse de fuir loin de moi, la folle folle ou folle folle.
Je suis le Pédé de la nuit, le Pédé qui crie !

III

Les Bas-fonds, encore la nuit.

Il arrive en prince, costume-jogging, grand très grand, si grand qu’assis sur mon banc je suis minuscule. Il sait ma soif. Il veut ma thune. 10 euros il me dit. Pas d’argent je réponds. On parlemente dans des langues inconnues. Je ne saurai jamais d’où il vient. Lui sait que je viens d’ici.
Je traduis sa main sur sa queue. Je traduis le désir dans son regard de violence. Il voudrait que j’ai peur mais il me supplie… me supplie de le croire indispensable à mon âme.

Avec la fierté d’une éducation que je méprise, je m’éloigne parce que je sais qu’il va me suivre. Qu’il veut ma bouche plus que ma bourse, qu’il veut mon love plus que mon or. De ça j’ai une foi plus épaisse que celle des Templiers et des kamikazes. Mes oreilles en alerte, j’ai peur du coup sur la tête. Ou de la balayette.

Il tape sur mon épaules et j’m’arrête. Je cache dans mon col ma pomme d’Adam qui arrive pas à descendre. Je respire même pas. En visible suis en roc. Y’a mes yeux qui doutent de rien et la-violence-la-nuit-la-rue-nos-coeurs me portent à l’aimer gratos. Pour de vrai surtout.

On entre dans notre palais-feuillage. On est pas le premiers à venir, mais ensemble, cérémonial, presque il me porte, parade nuptiale.

Il redemande de l’argent pour la mise en scène, vérification déterminée à recommencer mon rôle de pédé outré. Je me retourne pour quitter la scène. Gagnons du temps il signifie quand il sort sa bite de son survét’. Même dans la nuit, elle brille géante. Je m’assois sur le siège-béton, la rue entière nous cache. Son gland mouillé pénètre ma bouche en valse de parquet ciré. J’avale tout et la famine repue me tire des presque-larmes. Y a les os de ses hanches que mes empreintes caressent. Ça le surprend, je le sens, que j’applique affectif de la tendresse dans la chorégraphie. Y’a ma banane qui le tente. Il glisse ses doigts de ma tête, je couine, amant-amour, vers la braguette de la sacoche. Je le laisse l’ouvrir pour le prendre en flagrance. Je mords un peu son gland et serre ses couilles main-gauche.
Je dis une truc du genre non, tu vas pas me voler du rien. Il cache son échec avec sa bite-villebrequin en fond de gorge. Nouvelles larmes qui se me mêlent aux premières. Ensemble elles se perdent dans ma barbe.

J’ai presque gagné, le faire abandonner le larcin pour juste qu’on s’aime, qu’on s’baise. Il passe ses mains sous mes épaules pour m’amener à nous. Entre deux arbustes très tristes mais utiles, il nous mène sur un vieux matelas en mousse défoncée. Je pense punaise de lit et je bande dans mon jean noir et taille haute. On reste timide. Sa bite touche cœur et pancréas, mes genoux dans la boue, lui en prince, la Terre et sa Queue se libèrent dans mon orbite-langue-palais-luette-gorge.

Je ne m’essuie même pas les lèvres et part dans la nuit.
Jamais je ne voudrais le revoir.
J’erre toujours comme un poisson trop faible pour lutter. Les marées m’emportent et j’hésite en bas de l’immeuble-maison à disparaître. À abdiquer.
Je marche encore, insatiable de cet espoir, insatiable de cette foi. Je vais aimer et être aimé. Par n’importe qui. Je suis donné. Je suis offert. Je suis gratuit.

Il est encore là, celui pour qui je suis un étranger. Il me parle toujours sans se soucier de la compréhension.
Il me dit viens avec ses doigts. Il passe sa main baladeuse sur mon épaule. Presque affectif, je lui scrute son réflexe-voleur-salvateur. Sa main gauche, la sacrée, plonge sur la ligne couille-nombril pour agite sa bite déjà ferme. J’ai peur parce que je veux. J’ai peur parce que je vis tout ce qui m’importe. Cette rencontre, cette triangulation lui-moi-la-nuit.

Il faudrait raconter comment lorsqu’on se réveille, il y a ce goût de vie, de sciure et de sang séché. Cette beauté à laquelle on ne doit plus croire pour accepter la chaleur du soleil. La lumière contre la paupière, on peut pas la vaincre.

J’ouvre la fenêtre et plonge mon torse nu dans les yeux des voisins forcément hagards. Mes seins pointent vers l’arrogance et je me roule dans les images de celui dont je ne comprenais pas les mots et qui ne comprenait pas les miens. Je me roule aussi dans ses derniers mots. Pas peur. Pas voleur. Et moi qui le suce dans la petite ruelle qui accueille les clochards, lui pacha sur un canapé laissé là, mes mains-caresses arpentant ses cuisses longues et maigres. Lui mon crâne entre les siennes. Son sperme encore irriguera toutes les veines de mon système quand déjà lui sera mort de toute possibilité de se croiser encore.
Une statistique à faire frémir

L. Bigòrra