TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Marsha P. Johnson : « Les hétéros, je sais comment les gérer »

Alors que le portrait de Silvia Rivera donnait à voir les liens politiques du mouvement STAR [1] et du GLF [2] dans le moment révolutionnaire américain, celui de Marsha.P Johnson donne à voir une forme-de-vie, c’est-à-dire une vie qui ne peut pas être séparée de sa forme, qui est sa propre originalité ou manière d’être, qui ne se brise pas sous les poussées normatives de la société.
La prostitution, la solidarité, les mouvements de résistances, de manifestations, de rue, les tabassages par la police sont autant d’éléments qui dessinent la vie d’une personne trans à l’aube des années 70. En outre, Marsha, tout comme Silvia Rivera devaient affronter au quotidien un racisme ordinaire et banalisé. Mais elles n’étaient pas sans armes. Le groupe STAR avait une vocation politique révolutionnaire, et ceux, sur tous des aspects de la vie de chacun de ses membres. Trouver un toit pour les jeunes homosexuels rejetés et sans abris, trouver de quoi les nourrir et les vêtir et enfin leur éviter un destin de prostitution. Mais il s’agissait aussi de prendre part au mouvement révolutionnaire, de faire des actions, des manifs bref de s’organiser tout de suite contre le système capitaliste, ses inégalités, ses lois et sa police.
Alors que la Révolution devient de plus en plus une affaire de salon, Marsha.P Johnson rappelle que les idées révolutionnaires prennent vie par des gestes. Vivre et lutter de concert, sinon rien.

Marsha. P Johnson, New York, 1973

Marsha.P Johnson
Entretien de Marsha.P Johnson de 1973 lors d’un rassemblement LGBT devant l’Hôtel de ville de New York.

Entretien

***Note : Nous avons choisi de conserver les expressions telles que « travesti », « drag queen », « transsexuel » comme elles étaient employées à l’époque. C’est ainsi qu’il faudra les comprendre.

Tu commençais à me dire il y a quelques minutes que des membres de STAR avaient été arrêtés. Que s’est-il passé ?

Eh bien, nous avons écrit un article pour Arthur Bell du Village Voice à propos de STAR et nous lui avons dit que nous étions toutes des « filles » travaillant dans le quartier de la 42e rue. Et nous nous sommes toutes donné nos noms — Bambi, Andorra, Marsha et Sylvia. Nous sommes toutes sorties pour tapiner quelques jours après la parution de l’article dans Village Voice, et nous avons été arrêtées les unes après les autres, en quelques semaines. Je ne sais pas s’il s’agissait de l’article ou s’il s’agissait simplement d’arrestations parce que c’était chaud.

Ont-ils arrêté beaucoup de travestis là-bas ?

Oh oui, et ils continuent encore à le faire. Ils continuent d’arrêter beaucoup de travestis et beaucoup de femmes pour les jeter en prison.

Comment procèdent-ils aux arrestations ?

Ils viennent et vous empoignent. Un travesti s’est fait chopper après avoir quitté les bras de son amant et s’est fait incarcérer. Les charges étaient le racolage. J’ai été arrêté pour prostitution directe. J’ai levé un détective — il était dans une voiture immatriculée du New Jersey. J’ai demandé : « Est-ce que tu travailles pour la police ? » Et, il a dit : « non ». Puis il m’a fait la proposition de me donner quinze dollars, et il m’a dit que j’étais en état d’arrestation. J’ai donc dû faire vingt jours de prison.

La situation en prison était-elle mauvaise ?

Oui, elle l’était. Beaucoup de travestis se battaient entre eux. Ils ont beaucoup de problèmes. Ils ne peuvent pas aller au tribunal, ils ne peuvent pas obtenir une date d’audience. Certains d’entre eux attendent depuis des années. Ils ont beaucoup de frustrations amenant à des bastons avec les autres. Une horrible quantité de combats ont lieu ici.

Quelles sont les relations entre les travestis et les prisonniers hétérosexuels ? Est-ce un gros problème ?

Oh, les prisonniers hétéros traitent les travestis comme si elles étaient des reines. Ils leur envoient des cigarettes et des bonbons, des enveloppes et des timbres et des trucs comme ça — quand ils ont de l’argent. Parfois, ils les traitent gentiment. Pas tout le temps.

Y a-t-il des brutalités ou d’autres choses du même genre ?

Non, les prisonniers hétéros ne peuvent pas passer à côté des prisonniers gays. Ils sont séparés. Les prisonniers hétéros sont d’un côté, et les prisonniers homosexuels sont de l’autre.

Peux-tu nous dire quelques mots à propos des objectifs de STAR en tant que groupe ?

Nous voulons voir tous les homosexuels obtenir une chance, des droits égaux, comme c’est le cas pour les hétéros en Amérique. Nous ne voulons pas que les homosexuels se fassent arrêter en pleine rue parce qu’ils trainent ou parce qu’ils ont des relations sexuelles, ou quelque chose du genre. À l’origine, STAR est lancée par la présidente, Sylvia Lee Rivera, et Bubbles Rose Marie et elles m’ont demandé de les rejoindre en tant que vice-présidente.
STAR est un groupe très révolutionnaire. Nous croyons au fait de trouver des armes, de commencer une révolution si nécessaire. Notre objectif principal est de voir les homosexuels émancipés et libres et avoir les mêmes droits que les autres personnes en Amérique. Nous aimerions voir nos frères et sœurs gays sortir de prison et à nouveau dans les rues. Il y a de nombreux travestis gays qui ont été emprisonnés sans aucune raison. La raison pour laquelle ils n’en sortent pas est qu’ils ne peuvent pas obtenir d’avocats ni de caution. Avec Bambi nous avons eu beaucoup de contacts quand nous étions en prison, et Andorra est allée au tribunal et en est sortie libre.

Que veux-tu dire par « elle est sortie libre » ?

Lorsque vous êtes arrêtés parce que vous êtes en train de flâner et que vous n’avez pas de casier judiciaire, ils vous laissent partir la plupart du temps. Ils laissent votre casier judiciaire grandir, puis repassent dans les rues et vous surveillent — ils vous donnent beaucoup de temps. C’est ainsi qu’ils fonctionnent au palais de justice. Par exemple, ma caution était de 1000 $ parce que j’ai un long passé de prostitution. Et ils ont refusé de diminuer celle-ci à 500 $. Alors, quand je suis allé au tribunal, ils m’ont dit qu’ils me laisseraient partir si je plaidais coupable de prostitution. C’est comme ça qu’ils s’y prennent, ils vous disent à l’avance ce que vous allez obtenir comme peine. De la même manière, avant même de vous présenter devant le juge, ils essaient de conclure un accord avec vous, afin qu’ils puissent évacuer votre affaire du tribunal.

Que se serait-il passé si tu avais plaidé non coupable ?

J’y serais encore. Ils m’ont donné 20 jours pour servir. Et beaucoup de gens font cela très souvent. C’est pourquoi leur bilan est si mauvais, parce qu’ils plaident toujours coupables juste pour pouvoir sortir, parce qu’ils n’ont pas d’avocat, pas d’argent ou aucune sorte d’aide venant de la rue.

Que faites-vous maintenant pour ces gens qui sont toujours là-bas et qui
ont besoin d’avocats ?

Nous prévoyons une danse. Nous pouvons aider à mesure que nous récoltons de l’argent.
J’ai les noms et les adresses des personnes qui sont en prison, et nous allons leur écrire une lettre et leur faire savoir que nous leur avons trouvé un avocat. Et nous allons envoyer là-bas les avocats pour essayer de faire passer certains noms plus tôt dans le calendrier, faire sortir leurs affaires du tribunal, faire une enquête approfondie.

Je me souviens qu’au début de la création de STAR, il y avait beaucoup de discussions sur l’oppression particulière que subissent les travestis. Peux-tu nous en parler ?

Nous ressentons toujours l’oppression venant des autres frères homosexuels. Les sœurs gays ne pensent pas trop de mal des travestis. Les frères gays le font. Je suis allé danser à la Gay Activist Alliance la semaine dernière, et il n’y a même pas eu un frère gay qui est venu me dire bonjour. Ils vous diraient bonjour, mais s’éloigneraient très rapidement. Les seuls travestis avec lesquels ils étaient très amicaux étaient des drags lookés bizarrement, comme une drag monstrueuse, sans seins, sans rien. Je n’y peux rien, mais j’ai des seins, ils sont à moi. Et ces hommes n’étaient pas amicaux du tout. De temps en temps, je reçois une invitation des Filles de Bilitis [3] , et quand j’y vais, elles sont toujours chaleureuses. Toutes les sœurs gays viennent vers toi et disent « Bonjour, nous sommes heureuses de vous voir » entamant ainsi de longues conversations. Mais pas les frères gays. Ils ne sont pas du tout amicaux envers les travestis.

Comprends-tu pourquoi ? As-tu une explication à cela ?

Bien sûr, je peux comprendre pourquoi. Beaucoup de frères gays n’aiment pas les femmes ! Et les travestis vous rappellent les femmes. Beaucoup de frères gays ne se sentent pas proches des femmes, ils préfèrent être proches des hommes, c’est pourquoi ils sont gays. Et quand ils voient approcher un travesti, il leur rappelle automatiquement les femmes et ils ne veulent pas être trop proches ou trop amicaux avec elle.

Es-tu plus à l’aise entourée d’hommes hétéros qu’entourée d’hommes homosexuels quelquefois ?

Je suis très à l’aise parmi les hommes hétéros. Je sais comment les gérer. Je les côtoie depuis des années, depuis que je travaille dans les rues. Mais je n’aime pas les hommes hétéros. Je ne suis pas amie avec eux. Il n’y a qu’une chose qu’ils veulent : relever votre robe. Ils feraient n’importe quoi pour relever votre robe. Ensuite, quand vous tombez enceinte ou quelque chose dans le genre, ils ne veulent même pas te connaître.

Penses-tu qu’il y a des hommes « hétéros » qui préfèrent les travestis aux femmes ?

Il y en a, mais pas beaucoup. Il y a beaucoup d’hommes gays qui préfèrent les travestis. Ce sont principalement des hommes bisexuels. Ils vont des deux côtés, mais n’aiment pas que quiconque soit au courant de ce qui se passe. Plutôt que de choisir un homme gay, ils vont chercher un travesti gay.

Lorsque tu tapines sur la 42e rue, savent-ils que tu es un travesti, ou pensent-ils que tu es une femme ? Ou est-ce que cela dépend ?

Certains le pensent et d’autres non, quand je me charge de leur dire. Je dis : « C’est comme une épicerie ; soit vous faites des achats, soit vous n’en faites pas ». Très souvent, ils me disent : « Tu n’es pas une femme ! » Je leur réponds : « Je ne sais pas ce que je suis si je ne suis pas une femme. » Ils disent : « Non, tu n’es pas une femme », « Laisse-moi voir ta chatte. »
Je dis : « Chérie, laisse-moi te dire quelque chose », « C’est à prendre ou à laisser ». Lorsque je sors tapiner, je ne me soucie pas outre mesure de faire des passes.
S’ils me choisissent, ils doivent me prendre de la manière dont moi j’en ai envie. Et s’ils veulent remonter ma robe, j’exige un extra et les prix montent et montent et montent. Et je reçois toujours l’intégralité de l’argent en avance, c’est ce que fait un travesti intelligent. Je ne les laisse jamais me dire : « Je te paierai après que le travail soit fait. » Je réponds que je veux être payé en l’avance. Parce qu’aucune femme n’est payée une fois le travail terminé.
Si vous êtes intelligent, vous exigez l’argent d’abord.

Quel type de mode de vie STAR a-t-il permis d’élaborer ?

Eh bien, nous avions notre maison STAR, au 213 E 2e rue. Il n’y avait qu’une seule lesbienne là-bas et beaucoup de choses lui étaient volées et j’avais l’habitude de me sentir vraiment désolé pour elle. Les gens entraient et lui volait un peu de méthadone, car elle se droguait. Je l’ai vue l’autre jour. Elle était la seule lesbienne qui restait avec nous. Je me sentais vraiment mal. Elle est retombée dans la drogue de nouveau. Et elle se débrouillait bien. La seule raison pour laquelle je ne l’ai pas emmenée avec moi à la maison STAR, était que je n’avais pas la force de m’occuper de ça. Mes nerfs ont été mis à rude épreuve ces derniers temps, et j’ai essayé de reprendre ma vie en main depuis que mon mari est décédé en mars. C’est très dur pour moi. Il vient de mourir en mars. Il prenait de la drogue. Il est sorti pour trouver de l’argent et acheter de la drogue et il s’est fait tirer dessus. Il est mort à l’intersection de la deuxième rue et de la première avenue. J’étais à la maison en train de dormir, et quelqu’un est venu et a frappé à la porte et m’a dit qu’il avait été abattu. J’étais tellement bouleversé que je ne savais pas quoi faire. Et juste après sa mort, le chien est mort également, et la lesbienne qui est restée là était assez gentille pour sortir de la rue la dépouille du chien pour moi. Je ne pouvais guère le supporter. J’ai été touché par deux morts cette année, mon amant et puis le chien. J’étais alors à bout de nerfs. Je suis allé chez le médecin à gauche et à droite. Et enfin, se faire coffrer pour prostitution était juste le summum !

Qu’en est-il des alternatives d’emploi ? Est-il possible d’obtenir des emplois ?

Définitivement. Je connais de nombreux travestis qui travaillent en tant que femme, mais j’attends de voir le jour où les travestis pourront entrer et dire : « Je m’appelle monsieur Untel et j’aimerais un travail en tant que madame Untel ! » Je peux trouver un emploi en tant que madame machin-chose, mais je dois cacher le fait que je suis un homme. Mais pas forcément. De nombreux travestis prennent des emplois en tant que garçon au début, puis, passer un certain temps, ils revêtent leur tenue féminine et continuent à travailler. C’est plus facile pour un transsexuel que pour un travesti. Si vous êtes un transsexuel, c’est beaucoup plus facile, car vous devenez plus féminine. Vous avez un tour de poitrine, les poils de votre visage et de vos jambes tombent et les muscles s’effacent de vos bras. Mais je pense que ça va prendre du temps avant qu’un travesti naturel puisse trouver un emploi, à moins qu’il ne soit un jeune travesti sans poils sur le visage et à l’apparence très féminine.

N’est-ce pas dangereux parfois que quelqu’un puisse penser que vous êtes une femme et découvrir que vous êtes un homme ?

Oui, ça l’est. Vous pouvez perdre la vie. J’ai failli mourir cinq fois. Je pense que je suis comme un chat. Beaucoup de fois, j’aborde des hommes qui pensent que je suis une femme et qui essaient ensuite de me voler. Je me souviens de la première fois que j’ai couché avec un homme, j’étais dans le Bronx. C’était un homme espagnol, je me prostituais en échange d’un retour à New York. Et il me déshabilla et découvrit que j’étais un garçon. Il a retiré un couteau de sa commode et il m’a menacé. Et j’ai dû lui donner du sexe pour rien. Je suis allé dans un hôtel une fois, et j’ai dit à ce jeune soldat que j’étais un garçon, et il ne voulait pas y croire. Puis quand nous sommes arrivés à l’hôtel, j’ai enlevé mes vêtements et il a découvert que j’étais un garçon pour de vrai et il est devenu fou. Il a pris son arme et il voulait me tirer dessus. C’est très dangereux d’être un travesti qui sort pour ses rendez-vous amoureux parce qu’il est facile d’être tué. Tout récemment, j’ai été volé par deux hommes. Ils m’ont volé et ont essayé de mettre une chose autour de mon cou et un bandeau sur mon visage. Ils voulaient attacher mes mains et me laisser sortir de la voiture, mais je ne les ai pas laissés m’attacher. J’ai directement sauté de la voiture. Ils étaient deux. Je me suis coupé le doigt lors de mon accident, mais ils m’ont arraché ma perruque. Je ne laisse pas les hommes m’attacher. Je préfère qu’ils me tirent dessus les mains libres. J’ai été volé une fois. Un homme m’a braqué son pistolet dessus et a attrapé mon portefeuille dans une voiture. Je ne fais plus confiance aux hommes. Récemment, je n’avais pas de rencard. Je suis allé dans des bars hétéros, obtenir de l’argent d’une autre façon, en donnant aux gens de la conversation, en leur tenant compagnie pendant qu’ils sont au bar. Ils vous paient un verre, mais bien sûr ils ne savent pas que vous êtes un garçon. Tu ne dois simplement pas sortir du bar avec l’un d’eux. Comme mon amie ; elle est payée pour recevoir les clients, discuter avec eux, les inciter à consommer. Je suis novice dans ce domaine. Je n’y ai jamais été auparavant. C’est ce que j’ai fait. J’ai reçu beaucoup de billets d’un dollar sans même lever le petit doigt. Je leur dis que j’ai besoin d’argent pour dîner.

L’un des objectifs de STAR est-il de rapprocher les travestis les uns des autres ?
Les travestis ont-ils tendance à être un groupe d’amis très soudés ?

Habituellement, la plupart des travestis sont amicaux les uns envers les autres parce qu’ils se ressemblent. La plupart des travestis s’entendent généralement bien avec les autres jusqu’à ce qu’il s’agisse d’homme. Les hommes séparaient les travestis. Beaucoup de travestis pourraient être de très bons amis, mais quand ils ont un petit ami... De la même manière, quand j’avais mon mari, il ne me laissait pas trainer avec des travestis, il voulait que je m’éloigne d’eux. Je me sentais mal et je ne me suis pas éloignée. Il n’aimait pas beaucoup me voir parler avec eux ni trainer ensemble. Il voulait que j’évolue dans le monde hétéro, que j’aille dans les bars hétéros et des trucs comme ça.

Penses-tu qu’il y ait une amélioration entre les travestis et les autres hommes homosexuels depuis la création de STAR, au sein du monde gay, au sein du mouvement gay ?

Eh bien, je suis allé à GAA [4] une fois et tous les gens se sont retournés, et ils m’ont dévisagé. Tous ces gens qui me parlaient étaient des gens que j’avais connus lors de mon travail dans le centre communautaire du Gay Liberation Front, mais ils n’étaient pas du tout amicaux. C’est typique. Ils ne sont pas habitués à voir des travestis en tenue féminine. Ils ont un travesti là-bas, Natasha, mais elle porte des vêtements de garçon sans seins ou quoi que se soit d’autre. Lorsqu’ils me voient arriver, ou Sylvia, ils se retournent et nous regardent mal.

Certains des travestis ne sont pas politisés ; que pensent-ils de vos idées révolutionnaires ?

Ils ne s’en soucient pas. J’ai parlé à de nombreux travestis autour de Times Square. Ils ne se soucient pas de révolution ou de quoi que ce soit d’autre. Ils ont ce qu’ils veulent. Beaucoup d’entre eux se droguent. Certains d’entre eux ont des amants. Et ils ne viennent même pas aux réunions de STAR.

Combien de personnes viennent aux réunions de STAR ?

Autour de trente, mais nous n’avons pas organisé de réunions de STAR récemment. Comme Sylvia n’a pas d’endroit où dormir, elle reste avec des amis au 109 th St.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

J’aimerais voir STAR se rapprocher de GAA et des autres homosexuels de la communauté. J’aimerais voir beaucoup plus de travestis venir aux réunions de STAR. Mais il est difficile d’entrer en contact avec les travestis. Ils trainent dans des bars, et sont à la recherche de maris. Il y a beaucoup de travestis qui sont très seuls, et ils vont simplement dans les bars à la recherche de maris et d’amants, comme tous les hommes gays le font. Quand ils se marient, ils n’ont pas de temps pour les réunions de STAR. J’aimerais voir débuter une révolution gay, mais il n’y a eu aucune manif ou quoi que se soit récemment. Tu sais comment sont les hétéros. Lorsqu’ils ne voient aucune action, ils pensent : « Eh bien,
les gays sont tous oubliés maintenant, ils sont épuisés, ils sont fatigués. » J’aimerais voir STAR avec un compte bancaire bien fourni comme nous l’avions auparavant, et j’aimerais voir à nouveau une maison STAR.

As-tu des conseils pour les gens des villages et des petites villes où il n’y a aucun relais de STAR ?

Créez leur propre antenne de STAR. Je pense que si les travestis ne s’organisent pas par eux-mêmes, personne d’autre ne défendra les travestis. Si un travesti ne dit pas : « je suis gay » et « je suis fier » et « je suis un travesti », alors personne d’autre ne va monter là-haut et dire « je suis gay » et « je suis fier » et « je suis un travesti » pour eux, car ce ne sont pas des travestis. La vie d’un travesti est très difficile, particulièrement quand ils trainent dans les rues.

Est-ce l’un des objectifs de STAR de s’organiser pour que les travestis n’aient plus à sortir trainer dans les rues ?

Nous n’aurions alors définitivement plus besoin de tapiner ? C’est l’un des objectifs de STAR pour l’avenir, mais la première des choses que STAR doit faire est de rencontrer les gens avant qu’ils ne touchent à la drogue, car une fois qu’ils prennent de la drogue, il devient très très difficile de les faire arrêter et de les sortir de la rue. Beaucoup de gens dans la rue assument leurs dépendances. Il y a très peu de travestis dans les rues qui ne consomment pas de drogues.

Qu’en est-il du terme : « drag queen » ? À STAR les gens préfèrent utiliser le terme « travesti ». Pouvez-vous expliquer la différence ?

Une drag queen est celle qui va généralement au bal, et c’est le seul moment où elle s’apprête de la sorte. Les travestis vivent en drag. Un transsexuel passe la majeure partie de sa vie en drag. Je ne sors jamais où que ce soit sans être en drag. Partout où je vais, je m’apprête complètement. Un travesti est encore comme un garçon, avec un air très viril, un garçon féminin. Il s’habille en drag ici et là. Quand vous êtes transsexuel, vous suivez un traitement hormonal, vous êtes sur la voie d’un changement de sexe et vous ne sortez jamais sans vos vêtements féminins.

Seriez-vous alors considéré comme un transsexuel préopératoire ? Sais-tu
quand tu serais susceptible d’obtenir ton changement de sexe ?

Oh, probablement cette année. J’ai l’intention d’aller en Suède. Je travaille très dur pour y aller.

Est-ce moins cher là-bas qu’à l’institut Johns Hopkins [5] ?

C’est 300 $ pour un changement, mais vous devez y rester un an.

Savez-vous ce que STAR fera dans l’avenir ?

Nous allons organiser des soirées STAR, ouvrir une nouvelle maison STAR, une ligne téléphonique STAR ouverte 24 heures sur 24, un centre de loisirs STAR. Mais c’est seulement après que notre compte bancaire se remplume. De plus, nous allons mettre en place un fonds de caution pour chaque travesti qui se fait arrêter, pour les faire sortir sous caution, et voir si nous pouvons faire appel à un avocat soutenant STAR pour aider les travestis au tribunal.

À quoi cela va-t-il servir ?

Quelle chose ?

Cette chose que vous venez de faire.

C’est un string. Tu veux voir ? C’est pour que si quelqu’un colle ses mains sous votre robe, il ne sente rien. Ils les portent au Club82 [6]. Tous ceux qui sont des drag queens savent comment en fabriquer une. Regarde, ça cache absolument tout.

S’ils remontent jusque là, ne se rendent-ils pas compte de ce qu’il y a vraiment ?

Je m’en fiche, s’ils arrivent jusque là. Je me fous du fait qu’ils trouvent
ce qui est vraiment là. C’est leur affaire.

Je suppose que beaucoup de travestis savent comment se défendre de toute façon !

J’emporte ma drogue miracle partout où je vais — une bombe lacrymogène. S’ils s’en prennent à moi, je les attaque avec ma bombe.

L’as-tu déjà utilisé ?

Pas encore, mais je suis patiente.

Traduction Frank.G

[1Street Transvestite Action Revolutionaries (STAR) était un collectif révolutionnaire de personnes gays, non-binaires et transgenres, fondée en 1970 par Sylvia Rivera et Marsha P. Johnson (drag queens racisées new-yorkaises). STAR fournissait un logement et un soutien aux jeunes LGBT sans abri et aux travailleurs du sexe dans le Lower Manhattan. Rivera et Johnson étaient les "mères" du foyer et finançaient l’organisation en grande partie grâce au travail du sexe.

[2Le Gay Liberation Front est le nom dans les années 1970, de plusieurs groupes américains militant pour la libération homosexuelle ; le premier d’entre eux fut fondé en 1969 à New York par Craig Rodwell et Brenda Howard, immédiatement après les émeutes de Stonewall, durant lesquels des heurts violents opposèrent policiers et manifestants gays. L’une des premières actions du GLF fut l’organisation d’une marche en réponse à Stonewall, et pour demander la fin de la persécution des homosexuels. Le combat politique du GLF est large et dépasse la discrimination envers les homosexuels, puisqu’il dénonce le racisme et apporte son soutien aux Black Panters et aux diverses luttes d’émancipation dans le Tiers monde. Le GLF est anti-capitaliste, et remet en cause la structure du modèle familial et les rôles traditionnels des sexes.

[3Les Daughters of Bilitis (DOB, signifiant les Filles de Bilitis) sont considérées comme la première organisation lesbienne historique des États-Unis. Le groupe fut fondé à San Francisco en 1955 par Del Martin et Phyllis Lyon et six autres femmes. La romancière Marion Zimmer Bradley comptait parmi les membres du groupe dans les années 1950. L’association était conçue comme une alternative explicitement lesbienne à d’autres groupes homophiles de cette époque comme la Mattachine Society.
La publication périodique des DOB s’appelait The Ladder, elle commença en 1956. En 1970, des féministes séparatistes s’emparèrent de la liste d’adresse et déplacèrent l’équipement de production de The Ladder, en conséquence de quoi le magazine cessa de paraître en 1972. Le nom du journal fait référence à la hiérarchie pédagogique de Platon, « l’échelle de la beauté ».
DOB eut une grande influence tout le long des années 1950 et 1960, mais éclata en plusieurs factions dans les années 1970. Ses membres se séparèrent pour soutenir soit les droits des homosexuels, soit le féminisme.

[4La Gay Activists Alliance (GAA) a été fondée à New York le 21 décembre 1969, près de six mois après les émeutes de Stonewall, par des membres dissidents du Front de libération gay. Contrairement au Front de libération, la Gay Activists Alliance s’est consacrée uniquement et spécifiquement aux droits des gays et des lesbiennes se déclarant politiquement neutre et disposé à travailler au sein du système politique.

[5L’hôpital Johns Hopkins (Johns Hopkins Hospital) est un hôpital universitaire situé à Baltimore dans l’État du Maryland aux États-Unis.

En 1965, l’hôpital Hopkins est devenu la première institution universitaire des États-Unis à pratiquer des opérations de changement de sexe. En tant que premier endroit du pays où les médecins et les chercheurs pouvaient se rendre pour s’informer sur la chirurgie de réassignation sexuelle, Hopkins est devenu un modèle pour les autres institutions. Mais en 1979, Hopkins a cessé de pratiquer ces opérations et n’a jamais repris.

Dans les années 1960, l’idée de tenter ces procédures est venue principalement du psychologue John Money et du chirurgien Claude Migeon, qui traitaient déjà des enfants intersexués, qui, souvent en raison de variations chromosomiques, possèdent des organes génitaux qui ne sont ni typiquement masculins ni typiquement féminins. Money et Migeon cherchaient un moyen d’assigner un sexe à ces enfants, et ont conclu qu’il serait plus facile de faire de la chirurgie reconstructive sur les patients pour les faire apparaître comme des femmes de l’extérieur. À l’époque, les enfants ne subissaient généralement pas de tests génétiques, et les médecins voulaient voir s’ils pouvaient être élevés de façon féminine.

[6Boîte de nuit new-yorkaise en sous-sol au 82 East Fourth Street, il n’y avait pas grand chose à voir de l’extérieur. Située dans ce qui était alors une partie reculée du Lower East Side, elle n’était pas loin du Bowery, à l’époque où celui-ci était plus délabré que le Standard Hotel.

Après le soulèvement de Stonewall en 1969, le club s’est maintenu sous diverses formes, devenant même une salle de concert punk rock dans les années 1970, les musiciens étant attirés par ses heures tardives et sa politique libérale en matière d’alcool. (Des groupes comme Television et les New York Dolls se produisaient, et des superstars comme David Bowie et Mick Jagger étaient connus pour passer par là).