TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Bordel ! - par Alain Burosse

Après avoir vu passer sur les réseaux sociaux une image d’un tract dactylographié intitulé « Manifeste du groupe de libération homosexuelle tendance politique et quotidien » posté par Alain Burosse, nous avons souhaité le contacter pour mettre en contexte, en souvenirs, ce document qui permet de situer l’esprit politique qui régnait alors autour de la question homosexuelle. La seconde moitié des années 70 pourtant riche politiquement, nous est trop peu connue. Nous pouvons tout de même nous en faire une certaine idée grâce au travail de Mathias Quéré : Qui sème le vent récolte la tapette, une histoire des groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979 aux éditions tahin party. Alain Burosse revient sur son parcours d’activiste homosexuel et sur les moments marquant de sa participation au GLH. Nous le remercions chaleureusement de partager son témoignage, son joyeux bordel.

Finalement, après avoir bien fouillé mon capharnaüm, je n’ai conservé que bien peu de documents originaux de ma glorieuse décennie des 70’s. Un comble, car je baignais alors en plein dans les archives, avec mes études d’ archéologie puis la magnétothèque d’ Europe1.

• Un numéro de Tout « Ce que nous voulons : Tout ! » , du Torchon brûle et du Fléau Social.

• Deux numéros de l’ Antinorm « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous » dans lequel j’écrivais et dessinais sous le pseudo de Mère Guez.

• Le numéro 0 de Gai Pied, début 79 : la couverture est une version follasse de la Marseillaise de Rude, le mec en cagoule et chaussettes blanches c’ est moi. La photo a été faite une nuit au repaire de l’ Elephant Rose, le café underground de l’ Olympic-Entrepôt, où nous nous retrouvions souvent (et où eut lieu la première programmation de films homosexuels en Avril 77).

Le Gai pied n°8 1979

• Le mythique catalogue du festival de La Pagode, organisé par le GLH et Lionel Soukaz .

• Et enfin ce tract du GLH-Politique et Quotidien. J’ avais 25 ans.

Je replonge dans mes carnets intimes 74-78, mais j’y évoque plus souvent mes amants (oh la la combien j’en ai oublié) que ma vie militante (du genre : « 26 Février, AG PQ, débat sur la participation à la journée du 8 Mars »).
Alors pour confronter des souvenirs flous, je branche ma copine des 400 coups, Maxime Journiac, avec qui j’allais vendre l’ Antinorm rue de la Huchette entre deux cours d’égyptologie.

Avec Maxime, Fred « Shalimar » et Gérard (la Folle Masculine, 2m, « moumoute orange et moustache verte » : impossible de passer inaperçus), nous avions formé, pendant la longue déliquescence du FHAR, un groupe, une petite troupe la la la, une bande de quatre sans nom défini. On se retrouvait toutes au bar des Artistes, rue Dauphine. De là, nous partions en goguette, parfois avec des robes achetées aux Puces et on prenait le métro en criant :
« BORDEL ! »

Bordel, comme était le FHAR, grand et magnifique bordel.
Notre modèle c’ était bien sûr les Gazolines qui nous avaient tant inspiré, galvanisé, fasciné, terrorisé, dans l´amphi des Beaux-Arts rue Bonaparte.

C’est avec cette bande qu’on avait jeté, un soir d’été, une grande poubelle sur Jean Poiret, qui dînait en terrasse d’un restaurant chic en bord de Seine et qui triomphait dans la Cage aux Folles, que nous n’avions évidemment pas vu mais que nous détestions férocement.
Briser cette cage dans laquelle les hétéroflics phallocrates nous enfermaient depuis si longtemps !

Et nous avons hurlé, plus fort que jamais :
« BORDEL ! »
Avant de détaler sous les insultes de Poiret (La Mère Guez en a fait un mauvais poème-recette dans l’ Antinorm, et Anna Morphose réalisa plus tard une petite vidéo, « Poubell’s girls »).

Papoter, ricaner, disserter sur les parfums, faire une permanente (ça c’est moi) et provoquer...
C’était jouissif !
Mais il fallait bien aussi parallèlement se structurer, se dimensionner politiquement, pour mieux continuer le combat contre l’amendement Mirguet, le maire de Tours, la répression policière et psychiatrique, bref tout le patriarcat réactionnaire.
CCC : Cellule Commission Comité.

Dans les comités Sexpol créés autour de l’ Antinorm, s’ agglomérait chez les uns ou les autres une faune bigarrée de trotskards, de mao-spontex et d’ anars, d’invertis sans parti, d’ intellos autoproclamés (mais pas l’élite vincennoise), de transfuges d’Arcadie (hou les vilaines planquées homophiles), de Gouines Rouges très décidées à exister face aux mâles dominants, de vétérans tels Daniel Guerin (respect !) et Francoise d’ Eaubonne (respect !) dont nous buvions les paroles. On balbutiait à découvrir notre identité et notre communauté en discutant sans fin de Wilhelm Reich, du Gay Liberation Front aux États-Unis, de l’appréciation ou de la détestation du “Comme ils disent” d’Aznavour, de la relation tordue entre politique et sexualité, de la mixité et de la lutte commune avec le MLF...
Et aussi de la pédophilie, de la pornographie, des rapports de désirs avec les arabes ou les berbères.
Mais ensemble nous étions d’ accord sur un point : contribuer à l’inexorable et imminente destruction de l’ordre moral bourgeois.

Et on se retrouvait toutes et tous aux manifs du 1er Mai : pas facile de trouver sa place entre une Lutte Ouvrière quasi-militarisée et hypercoincée du cul, et le service d’ ordre aussi viril qu’ hostile de la CGT qui nous jugeait malades ou pervers. Le mythe post-soixante-huitard de l’ alliance anticapitaliste avec la classe ouvrière commença à s’écorner.

« NOUS SOMMES UN FLÉAU SOCIAL ! »
Et, à quelques dizaines, nous suivions les Gazolines qui faisaient virevolter leurs boas et soulevaient leurs jupes en scandant :
« TIENS MARCHAIS, VOILA DU MUGUET »
« 35 CENTIMÈTRES, ON PREND RIEN EN DESSOUS ! »
« TAXI COCKTAIL INTERVIEW Y EN A MARRE ! »
Les âmes chagrines ou effarouchées s’ offusquaient de ces débordements scandaleux qui décrédibilisaient notre cause ha ha.
Et on chantait à tue-tête :

« C est l’ orgaaaaasme final /
Couchons-nous et demain /
Les gouines les pédaaaaales/
Seront le genre humain »

BORDEL ! RÉVOLUTION !

Avec la fin du FHAR - réduit à une backroom- et de l’ Antinorm, rongé à son tour par les égos et les dissensions gauchistes, naquit dans la foulée à Paris le Groupe de Libération Homosexuel, associant intégrationnistes et désintégrationnistes, libertaires, réformistes et radicaux. Ce collectif homoclite ne tarda pas à éclater en trois tendances qui démontraient déjà la diversité du mouvement : le GLH-14 Décembre (jour de la scission, 1975), le GLH-Groupe de base et le GLH-Politique et Quotidien qui privilégiait le combat politique et perdura plus longtemps que les deux autres.

Chaque groupe avait plus ou moins son leader : un mec.
Les réunions se tenaient à la fac de Jussieu. Tour 41, me précise le carnet.
Maxime est allé début 1976 déposer les statuts du GLH-PQ à la préfecture et il en fut la première présidente, flanquée de Kevin Kratz la secrétaire générale et de François Graille la trésorière.
Une nouvelle bande des Quatre (en ironique soutien à la veuve Mao, Jian Qing) voit alors le jour avec Frank Arnal, Audrey Coz, Pablo Rouy (légendaire Pablote) et Maxime.
Maxime : « Les nouveaux penseurs politiques ( Jean le Bitoux, etc.) élaboraient dans une ambiance studieuse, boulevard Voltaire, le programme et les actions du groupe et nous, on tournait tout en dérision. Dans ce grand appartement, il y avait une ronéo. »

Le tract !

Je ne sais plus où j’ai distribué ce tract.
À la fac de Censier ou de Jussieu ? Au quartier latin ? Peut être rue Sainte-Anne que nous avions bloquée un soir pour protester contre la première concentration gay commerciale, celle du Sept, du Colony et du Bronx ?

LES PÉDÉS DANS LA RUE, PAS DANS LES GHETTOS !

Je revois maintenant les visages de mes deux grands amours de cette décennie, RIP Mark et Philippe et outre ceux déjà cités, ceux des trois Alain ( Fleig, Huet, Prique), de Guy Maes, d’ Anne-Marie et Marie-Jo, du très beau et charismatique Guy, de Maud et Marlène, de Gérard Vappereau, de Sister Tui, de Pierre Hahn, de « Jeanne d’ Arc » , du couple Jacquemard-Senecal, d’ Hervé déjà photographe, de Jean-Louis la shitée, de Joël, du petit Claude mon pâtissier préféré, de Mathias que j’ avais détourné de la LCR, de Raymond, de François, de Jean-Mimi...

Puis la vie en communauté, les squats du 14eme, les drogues et les dragues, la plongée dans la musique, les voyages lointains sans le sou, les aventures et les expériences sexuelles multiples, le boulot à la magnétothèque... J’allais moins à Jussieu, mais mon carnet me rappelle deux dates :

Samedi 25 Juin 77, contre l’oppression et la répression, la première marche homosexuelle autonome (mais pas encore Gay Pride) organisée par le GLH avec le MLF, en réaction à la croisade de l’abomination Anita Bryant : « Tuer un homosexuel pour l’amour du Christ ».
Notre première manif à nous ! Des pédés et des lesbiennes libres !
Ah, la tête ahurie des passants devant ce spectacle inédit, joyeux, vociférant.

« ANITA C’EST PAS BRILLANT »

« LES PÉDÉS DANS LA RUE, PAS SUR LES TROTTOIRS ! »

Et le 20 Novembre 77, ma dernière violence militante (ou activiste, comme préfère dire Hélène Hazera) : nous sommes en AG à Jussieu et des copines nous indiquent que les serveurs du café Apollinaire, boulevard Saint Germain, tenaient des propos homophobes à leur égard. Vengeance ! Nous partons en petits groupes nous installer aux tables du café et d’un coup les consommateurs se métamorphosent en folles hystériques et renversent les tables en hurlant (on aimait beaucoup hurler à l’époque) et d’ un coup de pied je pète la vitre de la devanture qui s’effondre devant moi. Poursuivi longtemps sur le boulevard par un serveur, je n ai jamais couru aussi vite de ma vie.

BORDEL !

Années 1970
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